Un effet du confinement sur la myopie en Chine

Voici une publication chinoise de Wang et al qui décrit un effet ophtalmologique surprenant, mais pour autant anticipable, des épisodes du confinement prolongé en Chine, à savoir une progression de la myopie chez l’enfant.

Nous avons plusieurs fois évoqué dans cette rubrique les facteurs clairement identifiés de progression de la myopie chez l’enfant, à savoir la combinaison de nombreuses heures d’activités sur écran vidéo et/ou de près (travail scolaire) et du trop faible nombre d’heures d’activités extérieure, en lumière naturelle. 

 

La Chine a été le premier pays touché par la crise de la COVID-19 et aussi le premier à imposer, vue la situation sanitaire, des mesures de confinement à domicile et de fermeture des écoles, avec un respect très strict des consignes par tous les habitants. Dans la région de Feicheng, les mesures de confinement ont été maintenues pendant 5 mois, de janvier à mai, et les écoles ont finalement rouvert en juin 2020.

Or, de façon concomitante, une enquête annuelle, récurrente depuis 2015, sur les modifications de la réfraction des enfants était en cours en ce début d’année 2020 dans 10 écoles primaires de Feicheng, et les données acquises pendant cette période viennent d’être publiées dans la revue JAMA Ophthalmology.

L’enquête comportait un total de 194 904 tests effectués chez 123 535 enfants (dont 64335 garçons, et 59200 filles, 47,9%), dont l’âge allait de 6 à 13 ans, répartis sur 6 niveaux de classes primaires (niveau 1 à 6 chinois). Il s’agissait donc d’une étude de grande envergure, sans toutefois que le nombre d’enfant testés chaque année ne soit détaillé par les auteurs, ce qui limite l’interprétation des résultats communiqués. De plus, la méthode d’évaluation de la réfraction reposait sur l’utilisation d’un photoréfractomètre automatisé binoculaire (Spot Vision Screener, Welch Allyn) sans cycloplégie préalable, alors que la référence pour évaluer la correction optique des enfants est habituellement une réfraction manifeste sous cycloplégie. Les auteurs ont calculé l’équivalent sphérique moyen pour chaque catégorie d’âge afin de comparer les moyennes annuellement, et d’autre part, ils ont apprécié l’évolution dans le temps de la prévalence de la myopie. Les chiffres sont particulièrement alarmant dans leur globalité, car à l’âge de 13 ans, plus de 80% des enfants de la cohorte étaient myopes ! et probablement même plus si l’on se rappelle l’absence de cycloplégie … Rappelons que la prévalence en Europe est plutôt actuellement de 25 % pour cette classe d’âge 1. Plus en détail, les réfractions moyennes observées lors des enquêtes précédentes (2015 à 2019) étaient relativement stables, avec des équivalents sphériques moyens de +0.20 D à 6 ans, -0,03 D à 7 ans, -0.30D à 8 ans, -0,66 D à 9 ans, -1,03 D à 10 ans, -1,45 D à 11 ans, -1,82 D à 12 ans et -2,49 D à 13 ans.

Mais l’enquête réalisée en 2020 mettait en évidence une myopisation supplémentaire de 0,2 à 0,3 dioptries pour les plus jeunes enfants testés, soit un équivalent sphérique moyen de -0,17 D à 6 ans, -0,31D à 7 ans et avec -0,59D à 8 ans (p<0,01 par rapport à 2015-2019). Pour les plus de 8ans, une tendance à la myopisation était aussi notée par rapport aux années précédentes, mais sans être statistiquement significative. Ce virage myopique se retrouvait également dans la prévalence qui passait de 5,7% à 21,5% pour la classe d’âge des 6 ans, de 16,2 % à 26,2% pour les enfants de 7 ans et de 27,7 à 37,2% pour les 8 ans. Enfin, les auteurs retrouvaient une plus grande myopie pour les filles, et plus surprenant, pour les yeux droits. Si le sexe peut expliquer une partie des résultats (plus grande tendance à maintenir une activité extérieure chez les garçons ?), la latéralisation est plus complexe à expliquer, et pourrait être un bon exemple de ce qu’on appelle l’erreur statistique de 3ème ordre, à savoir donner une réponse exacte à une fausse problématique, ou en d’autres termes le revers de la médaille du « petit p » classique qui rassure habituellement.  Quoi qu’il en soit, les chiffres sont d’autant plus impressionnants que l’évolution myopique pourrait ne refléter les conséquences que de 5 mois de confinement.  On ose à peine imaginer les résultats après 1 an de restriction d’activités pour les enfants ...

 

Voici donc une étude épidémiologique importante par le nombre des sujets inclus et surtout par les signaux d’alarme qu’elle transmet en termes de santé publique.

Logiquement, Caroline Klaver qui a dirigé des études européennes de prévalence de myopie (dont une partie ophtalmologique de la Rotterdam Study) signe un éditorial dans le même numéro du JAMA Ophthalmolgy afin de rappeler la nécessité de maintenir au maximum les activités extérieures pour les enfants, surtout les plus jeunes, afin de limiter une aggravation de l’épidémie de myopie, dont notre mode de vie sédentaire et urbain est un facteur d’aggravation désormais bien démontré 2.

Wang J, Li Y, Musch DC, Wei N, Qi X, Ding G, Li X, Li J, Song L, Zhang Y, Ning Y, Zeng X, Hua N, Li S, Qian X. Progression of Myopia in School-Aged Children After COVID-19 Home Confinement. JAMA Ophthalmol. 2021 Jan 14:e206239.

 

1www.myopie.nl

 

2 Klaver CCW, Polling JR, Enthoven CA. 2020 as the Year of Quarantine Myopia. JAMA Ophthalmol. 2021 Jan 14.

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : pédiatrie