Lumière bleue : actualité du mois de février

Fenolland Jean-Rémi
Rousseau Antoine

Revue de la presse de février 2021

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 


Lumière bleue : actualité du mois de février

Ce mois-ci, deux publications viennent enrichir le débat sur l’intérêt de prévenir l’exposition à la lumière bleue dont la toxicité rétinienne a bien été identifiée sur des modèles in vitro mais dont la caractérisation d’un effet in vivo est beaucoup plus difficile à apporter.

Une équipe finlandaise de l’hôpital de Kotka a tenté de mettre en évidence un lien entre la pose d’un implant jaune filtrant la lumière bleue et l’apparition ou l’aggravation d’une DMLA exsudative. Pour ce faire, les données d’une très vaste cohorte uni centrique (11397 yeux de 11397 patients) d’un hôpital qui draine un bassin de population d’environ 175 000 habitants ont été analysées de façon rétrospective. Les patients avaient tous été opérés de cataracte sur une période allant de 2007 à 2018, la chirurgie étant non compliquée. L’objectif principal de cette étude de vraie vie était de comparer la proportion de patients qui développaient une DMLA exsudative dans les suites de chirurgie de cataracte en fonction du type d’implant posé. L’objectif secondaire était de déterminer une différence dans la vitesse de progression pour les patients qui étaient déjà suivis pour une DMLA exsudative en préopératoire.

Les patients inclus étaient opérés pose d’un implant jaune (SN60WF, Alcon, USA) ou d’un implant blanc (Tecnis ZCB00 ou ZA9003, AMO, USA). Tous les patients avaient eu un examen préopératoire afin de diagnostiquer une maculopathie, et en cas de DMLA exsudative avérée ou en cas de survenue d’une DMLA exsudative au cours de la première année de suivi, ils étaient exclus de l’analyse statistique pour l’objectif principal de l’étude.

La puissance de cette publication vient du fait qu’en Finlande, l’ensemble des patients injectés par anti-VEGF passent en secteur hospitalier public et sont incrémentés dans une base de données. L’analyse rétrospective est donc possible de façon exhaustive en limitant drastiquement les patients perdus de vue et les erreurs de diagnostic.

Sur les plus de 11 000 patients inclus, 62,5% étaient des femmes, et l’âge moyen de la série était de 75,4±8 ans. Un implant jaune avait été posé chez 5425 patients (47,6%), et un blanc chez 5972 autres patients (52,4%), selon le libre choix du chirurgien, ce qui représente une faiblesse de cette étude mais qui est néanmoins compensé par une analyse statistique multivariée. La durée médiane de suivi était de 52,7±32,1 mois et le temps moyen de survenue d’une DMLA exsudative était de 45,9±22,5 mois. Les patients implantés avec un implant jaune étaient plus âgés (77,2±7,6 ans contre 73,8±8,7 ans ; p<0,001) et étaient plus susceptibles d’avoir déjà des signes de de dégénérescence maculaire (1,1% contre 0,7% ; p=0,016) que ceux implantés avec un implant blanc.

Au cours du suivi, une DMLA exsudative fut diagnostiquée chez 164 patients, dont 88 dans le groupe implant jaune et 76 dans le groupe implant blanc. Selon une analyse multivariée de Mantel-Cox, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes jusqu’à 9 ans de suivi. Sur un modèle d’analyse de régression de Cox, contrôlé pour l’âge, le genre et l’existence d’une maculopathie, la pose d’un implant jaune ne permettait pas de prédire la survenue d’une DMLA exsudative avec un hazard ratio (HR) de 1,075 (p=0,652) contrairement au diagnostic d’une maculopathie (HR=9,385 ; p<0,001).

Concernant le deuxième objectif de l’étude qui était d’évaluer un rôle du filtre bleu dans la progression d’une DMLA exsudative préexistante, les auteurs identifiaient 87 patients diagnostiqués avant la chirurgie de cataracte et 58 chez qui un néovaisseau était traité dans les 12 premiers mois après la chirurgie de cataracte. Un implant jaune était implanté pour 71 yeux et un implant blanc pour 74 yeux. Il n’y avait pas, au cours du suivi, de différences significatives pour les deux types d’implants, à l’exception du nombre d’injection d’anti-VEGF qui était supérieure dans le groupe implant jaune (5,7±2,7 vs. 4,7±2,8 injections ; p=0,041).

Ainsi selon les auteurs de cette publication, il ne ressortait pas de caractère avantageux à poser un implant filtrant la lumière bleue que ce soit au niveau de l’incidence ou de la progression d‘une DMLA exsudative. On peut cependant légitimement se poser la question de la pertinence de l’objectif secondaire de cette étude, car d’une part il n’y avait des effectifs relativement faibles et qu’en raison de la fréquence de ces événements, il parait difficile de pouvoir démontrer un lien significatif selon le type d’implant posé.

Une deuxième étude, australienne cette fois-ci, visait à déterminer si des lunettes équipées de verres à filtre bleu pouvaient limiter la fatigue visuelle au cours du travail sur écran. Les anglo-saxons définissent un véritable syndrome, le CVS pour Computer Vision Syndrome ou « Syndrome visuel sur ordinateur » qui touche des patients après exposition longue sur un écran qui se manifeste par une fatigue visuelle, des maux de tête, une vision floue, une sensation de sécheresse oculaire ainsi que des douleurs cervicales et de la ceinture scapulaire. Il existerait environ 60 millions de patients présentant un CVS dans le monde avec plus de 1 million de nouveaux cas annuel, notamment en raison de l’explosion de l’usage des écrans chez les plus jeunes.

Un essai clinique publié en 2017 avait souligné l’intérêt de la protection à la lumière bleue dans le cadre du travail sur écran en prévention des CVS, cependant certains auteurs avaient remis en cause ce travail, en raison du faible effectif de patients inclus et du manque d’indépendance de son promoteur, qui commercialise des verres 3.

Afin de faire avancer la connaissance, Singh et al. ont souhaité s’inscrire dans les meilleurs standards pour leur essai clinique qui était randomisé, en double aveugle et bien évidemment enregistré au préalable. Un total de 120 patients âgés de 18 à 40 ans, emmétropes et non presbytes, et qui souffraient de fatigue visuelle sous écran a été inclus après un examen complet, dont un bilan orthoptique et une détermination du score OSDI, utilisé en recherche clinique pour apprécier la qualité de vie liée aux soucis de surface oculaire. Les patients étaient répartis dans quatre bras équivalents en effectif (n=30), selon deux paramètres :

1/ selon le mode de la délivrance de l’information sur l’équipement en lunette (ton négatif ou positif).

2/ selon la paire de lunettes utilisée pour l’expérimentation (filtre bleu ou pas), les verres étant plans dans tous les cas.

Les auteurs ont souhaité utiliser les verres au filtre bleu le plus efficace, afin d’augmenter la chance de constater un effet, et ce sont des verres français commercialisés par Essilor qui ont été utilisés, en raison de la meilleure atténuation des longueurs d’ondes bleues d’après une publication antérieure 4.

L’étude commençait par une évaluation avant le port de lunettes après avoir visionné une vidéo sur écran, puis s’en suivait une période de travail de deux heures sur écran, cette fois ci avec les verres. Cette évaluation visait d’abord à quantifier les symptômes de fatigue visuelle grâce à un questionnaire sur 900 points. Une évaluation objective de la fatigue oculaire était réalisée grâce à la mesure du seuil de fréquence critique de fusion, méthode qui consiste à déterminer la fréquence à laquelle un scintillement est vu de façon continue, mais aussi par mesure des saccades oculaires, ainsi que par l’analyse de la fréquence du clignement.

Les auteurs ont finalement mis en évidence au bout des deux heures de test une majoration de la fatigue oculaire dans les 4 groupes mais qui n’était pas significativement différente selon l’information délivrée ou le type de verres portés, que ce soit pour les critères subjectifs, ou les autres paramètres objectifs étudiés.

Voici donc un essai rigoureux du point de vue de la méthodologie mais dont les résultats sont négatifs, les verres à filtre bleu ne semblant finalement guère efficaces dans la prévention de la fatigue visuelle sous écran, tout du moins après une exposition de deux heures. Peut-être qu’une durée de travail plus longue ou des séances répétées auraient amené à des conclusions différentes, car les hypothèses pathogéniques sur le rôle de la lumière bleu impliquent un dysfonctionnement neuronal qui n’a probablement pas le temps de se mettre en place en deux heures seulement.

Les auteurs se veulent néanmoins rassurant sur la toxicité physique potentielle de la lumière bleue sur écran, car le débit de fluence de lumière bleue émise par les appareils électroniques les plus couramment utilisés (tablettes, ordinateurs, smartphones) ont été mesurée entre 0,034 et 0,380 W.m-2.sr-1, soit des doses très largement inférieures aux limites établies par la commission internationale de protection aux rayonnements non ionisants (100 W.m-2.sr-1). Par ailleurs, il convient de se rappeler que l’exposition à la lumière bleue est 1000 fois plus importante en lumière naturelle (en extérieur), que face à la lumière artificielle d’un écran, ce qui en fait relativiser les effets potentiels physiques, mais pas ceux de dérèglement chronobiologique.

1 Achiron A, Elbaz U, Hecht I, Spierer O, Einan-Lifshitz A, Karesvuo P, Laine I, Tuuminen R. The effect of blue-light filtering intraocular lenses on the development and progression of neovascular age-related macular degeneration. Ophthalmology. 2021 Mar;128(3):410-416.

2 Singh S, Downie LE, Anderson AJ. Do blue-blocking lenses reduce eye strain from extended screen time? A double-masked, randomized controlled trial. Am J Ophthalmol. 2021 Feb 12:S0002-9394(21)00072-6.

3 Lin JB, Gerratt BW, Bassi CJ, Apte RS. Short-wavelength light-blocking eyeglasses attenuate symptoms of eye fatigue. Investigative ophthalmology & visual science 2017;58(1):442-7.

4 Leung TW, Li RW, Kee CS. Blue-light filtering spectacle lenses: optical and clinical performances. PLoS ONE 2017;12(1):e0169114.

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : lumière bleue