L’impact de la sécheresse oculaire sur l’activité professionnelle

Revue de la presse de Juin 2021

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


L’impact de la sécheresse oculaire sur l’activité professionnelle :

De nombreuses études ont déjà mis en évidence l’impact majeur de la sècheresse oculaire sur la qualité de vie. Plus rares sont celles qui ont objectivement évalué son retentissement sur les activités, notamment professionnelles, qui explique en partie le coût économique de cette pathologie très fréquente.

C’est le cas de la DREAM study (Dry Eye Assessment and Management)1 sur laquelle il nous parait nécessaire de faire un bref rappel. Cette vaste étude multicentrique prospective menée aux USA, visait initialement à évaluer l’efficacité sur les signes et les symptômes de sècheresse oculaire d’une supplémentation en huiles désaturées sur le carbone omega 3. Pour rappel, et bien que cela ne soit pas l’objet de cette analyse, l’étude ne montrait pas de différence entre le groupe placebo et le groupe traité, mais certains aspects méthodologiques suggéraient qu’une telle différence avait peu de chance d’être observée avec le protocole en question.2

Quoi qu’il en soit, les très nombreuses données collectées durant ce vaste essai clinique ont permis des analyses secondaires très intéressantes, au demeurant pas toutes en lien avec le médicament testé. C’est d’ailleurs une des grandes forces de ces études multicentriques de grande envergure, qui fournissent in fine beaucoup plus d’informations que leur objectif initial. Greco et al. ont ainsi utilisé les données de la DREAM study pour évaluer l’impact des signes et symptômes de sècheresse oculaire sur la productivité au travail et les activités extra-professionnelles.

Les patients inclus étaient majeurs, avaient une sècheresse oculaire officiellement modérée à sévère. En réalité, les critères d’inclusion (Ocular Surface Disease Index -OSDI- compris entre 25 et 80, test de Schirmer compris entre 1 et 7mm/5min, score de coloration conjonctivale au vert de lissamine ≥ 1 sur un maximum possible de 6, score de coloration cornéenne à la fluorescéine ≥ 1 sur 15) permettaient d’inclure aussi des formes légères de sècheresse oculaire. Cependant, les patients ne devaient pas être atteints de conjonctivite allergique, être porteurs de lentilles de contact, ni avoir été opérés de chirurgie réfractive. Ils bénéficiaient de 3 évaluations cliniques complètes à  6 mois d’intervalle (1 an de suivi).

L’ensemble des patients de l’essai était inclus dans l’étude secondaire qui nous intéresse ici. Les questionnaires analysés étaient :

1) l’OSDI, qui évalue les symptômes et le retentissement de la sècheresse oculaire en 12 questions regroupées en 3 catégories : symptômes oculaires, conséquences sur la vision et impact des facteurs environnementaux. Le score va de 0 (aucun symptôme) à 100.

2) Le Work Productivity and Activity Impairment (WPAI), qui comporte 6 questions. Pour les patients ayant un emploi, le WPAI estime la perte de productivité pendant les heures de travail causée par un problème de santé, exprimée en pourcentage de réduction. Pour tous les répondants, ayant ou non un emploi, il donne en outre des informations sur l’impact du problème de santé sur les activités extra-professionnelles courantes. Le résultat est également exprimé de 0 (aucune limitation) à 100 (activité totalement limitée par les problèmes de santé). Les différentes catégories explorées par ce questionnaire sont l’absentéisme, la productivité au travail, le présentéisme (ce dernier étant défini comme le fait rester ou se rendre au travail lorsqu’on est souffrant, ou de rester plus longtemps au travail que nécessaire pour se faire bien voir de son employeur),  la diminution des activités extra-professionnelles.

Parmi les 535 patients inclus dans DREAM, 279 (52%) avaient un emploi. Dans l’ensemble, les participants (avec et sans emploi) déclaraient une diminution globale de leurs activités de 24,5%. Chez les patients ayant un emploi, l’absentéisme et le présentéisme étaient respectivement de 2 et 18%, tandis que la limitation de productivité était de 19,6%.

Après analyse multivariée permettant d’exclure les covariables confondantes, l’impact de l’œil sec sur la qualité de vie (estimé par le score OSDI) était corrélé aux niveaux d’absentéisme et de présentéisme, et aussi à la limitation de productivité.

Plus précisément, la productivité au travail et les activités extra-professionnelles étaient respectivement diminuées de 4,3 et 4,8% par tranche de 10 points d’OSDI (p<0,01). Au cours du suivi des patients, l’augmentation de l’OSDI était associée à une baisse de productivité au travail et des activités non-professionnelles (2% et 3,1% par tranches de 10 unités d’OSDI, respectivement, p<0,01).

Il est aussi frappant de constater que des paramètres cliniques de la sècheresse oculaire, comme l’augmentation des scores de coloration cornéenne et la diminution du temps de rupture du film lacrymal (BUT) étaient associées à une limitation de la productivité et une diminution des activités extra-professionnelles. Cependant, les variations longitudinales (dans le temps, pour un même patient) de ces paramètres ne se répercutaient pas sur la productivité et les activités extra-professionnelles.  

Au total, cette étude montre que les symptômes de sècheresse oculaire sont significativement associés à une diminution de la productivité et des activités, tant lors de comparaisons interindividuelles (étude transversale) que lors de comparaisons intra-individuelles (étude longitudinale). En revanche l’association entre sévérité des signes (coloration cornéenne et BUT) et impact sur les activités n’est observée que lors de comparaisons interindividuelles. Ces données ne démontrent certes pas de manière indiscutable le lien de causalité entre sècheresse oculaire et activité (extra) professionnelle, mais elles confirment, statistiquement, l’impression largement partagée par les cliniciens qui suivent attentivement leurs patients atteints de maladie de la sècheresse oculaire.

 

1) Asbell PA, Maguire MG, Peskin E, Bunya VY, Kuklinski EJ; Dry Eye Assessment and Management (DREAM©) Study Research Group. Dry Eye Assessment and Management (DREAM©) Study: Study design and baseline characteristics. Contemp Clin Trials. 2018 Aug;71:70-79

2) Dry Eye Assessment and Management Study Research Group, Asbell PA, Maguire MG, Pistilli M, Ying GS, Szczotka-Flynn LB, Hardten DR, Lin MC, Shtein RM. n-3 Fatty Acid Supplementation for the Treatment of Dry Eye Disease. N Engl J Med. 2018 May 3;378(18):1681-1690

 

Greco G, Pistilli M, Asbell PA, Maguire MG; Dry Eye Assessment and Management Study Research Group. Association of severity of dry eye disease with work productivity and activity impairment in the dry eye assessment and management study. Ophthalmology. 2021 Jun;128(6):850-856.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : surface oculaire