Le champ visuel à la maison, c’est pour bientôt…

Fenolland Jean-Rémi
Rousseau Antoine

Revue de la presse de mars 2021

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Le champ visuel à la maison, c’est pour bientôt…

Avec le vieillissement de la population, le nombre de patient glaucomateux est en constante augmentation. Parallèlement, les études randomisées récentes dans le domaine du traitement de cette pathologie (on pense en particulier à l’UKGTS) ont bien montré que la répétition fréquente des champs visuels (CV) était un élément essentiel pour améliorer la fiabilité des examens et donc détecter la progression. Les ressources humaines pour réaliser les champs visuels constituent malheureusement le maillon faible de la chaine de soins.

La réalisation des examens de façon autonome par les patients à leur domicile pourrait constituer une solution pour diminuer le volume de venues à l’hôpital, d’autant plus que des auto-tonomètres et des systèmes de photographies du fond d’œil (et même d’OCT) réalisables par les patients sont de plus en plus aboutis. Enfin, ces développements de la télémédecine ont trouvé un écho particulier dans les temps de pandémie que nous traversons, où tout ce qui peut diminuer les allées et venues dans les structures de soin est considéré comme un progrès.

C’est dans ce contexte que l’équipe de David Crabb publie dans l’American Journal of Ophthalmology une étude qui prouve la faisabilité de CV à domicile à l’aide d’un logiciel simple installé sur un PC-tablette.

Cette étude pilote visait d’une part à tester l’adhésion des patients au principe de faire un CV mensuel de façon autonome « à la maison » et d’autre part à évaluer la fiabilité de cette mesure campimétrique à domicile comparée à celle de CV Humphrey réalisés de façon conventionnelle. Pour cela, 20 patients glaucomateux volontaires (recrutés via une annonce dans une newsletter de l’association internationale du glaucome) ont été inclus, avec un CV Humphrey 24.2 en début d’étude, puis un CV par mois pendant 6 mois avec le système Eyecatcher et un CV Humphrey 24.2 en fin d’étude.

Le système Eyecatcher repose sur le principe d’un champ visuel automatisé : les stimuli lumineux apparaissent sur l’écran du PC (de taille Goldmann III) avec une croix rouge au centre que le patient doit fixer. Le logiciel est basé sur un algorithme de test de seuil des sensibilités (ZEST) proche de l’algorithme SITA, mais qui n’explore que 15° horizontaux et 9° verticaux. La caméra frontale du PC permet de contrôler la fixation (mais pas en temps réel, uniquement à des fins d’analyse méthodologique en fin d’étude). Le patient dispose d’un cache-œil, doit s’installer dans une pièce sombre et se positionner à 55 cm de l’écran, une distance qu’il a repérée sur une marque sur le câble de la souris (branchée à la tablette) où il clique pour signaler qu’il a perçu le stimulus.

Les patients inclus avaient un âge médian de 71 ans, une acuité supérieure à 3/10 sur le meilleur œil et une déviation moyenne de 2,5dB (médiane de 8,9dB) au Humphrey 24/2.

Dix-neuf des vingt participants ont réalisé l’ensemble des CV à domicile (un patient arrêtait l’étude à 4 mois car la réalisation de l’examen provoquait chez lui des vertiges), soit une observance de 98%. La concordance entre les CV à domicile et les CV standards était bonne (coefficient r de 94%). Toutefois, 21 des 236 tests (9%) déviaient fortement de la médiane, (> ± 3dB). Ces examens correspondaient avec une assez bonne précision à ceux que le dispositif d’analyse de tracking du regard (basé sur une intelligence artificielle) avait identifié comme non fiable. La durée médiane de réalisation des examens était de 4,5 minutes.

Les résultats de cette étude semblent très encourageants mais plusieurs points posent problème. Tout d’abord, l’adhésion excellente aux examens et la bonne réalisation des tests sont probablement faussées par un biais de sélection : les patients n’ont pas été choisis au hasard, mais sur la base du volontariat, qui plus est parmi un panel de lecteur assidus d’une lettre d’association de patients… L’applicabilité à un plus large public reste donc à prouver.

Ensuite, la mesure elle-même du champ visuel reste limitée à une portion assez centrale, ce qui limite la probabilité de détection de certains déficits, voire d’une évolution péjorative en périphérie. A cet égard, les auteurs donnent des pistes pour améliorer ce point (entre autres, écran de plus grandes dimensions, ou encore changement de position en cours d’examen du point de fixation). Enfin, aucune donnée dans l’étude ne permet de comparer la sensibilité de cette technologie avec la détection de la progression à celle du CV standard (les données exhaustives fournies dans l’article laissent penser que l’Eyecatcher est moins sensible).

Les avantages théoriques mis en avant par les auteurs n’en restent pas moins convaincants : en répétant les examens, on entraine le patient, et si les données de l’Eyecatcher ne sont, en soi, pas suffisantes pour suivre les patients, elles pourraient grandement améliorer la fiabilité des données des CV Humphrey réalisés en clinique, et ainsi améliorer la détection de la progression. La réalisation de CV à domicile permettrait aussi une meilleure implication du patient dans sa pathologie, et potentiellement une meilleure adhésion, et donc une meilleure observance du traitement. Dans l’hypothèse d’un déploiement du dispositif à plus grande échelle, la question de la gestion sécurisés des données des patients constituera un autre point sensible à régler.

 

Jones PR, Campbell P, Callaghan T, Jones L, Asfaw DS, Edgar DF, Crabb DP. Glaucoma Home Monitoring Using a Tablet-Based Visual Field Test (Eyecatcher): An Assessment of Accuracy and Adherence Over 6 Months. Am J Ophthalmol. 2020 Sep 1;223:42-52.

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : glaucome