L’arrivée du Brolucizumab, ou l’illustration du potentiel de l’innovation technologique par l’industrie pharmaceutique, quand les conditions sont réunies.

La recherche pharmacologique peut faire preuve d’une extraordinaire capacité inventive, sous réserve toutefois que les moyens technologiques et financiers puissent être combinés grâce au marché potentiel qui pourrait en découler. Le développement des anti-angiogéniques en est un très bon exemple, grâce, si l’on peut dire, à la prévalence préoccupante de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) dans le monde entier.
Si l’on considère que les premières pistes sérieuses sur le rôle du facteur de croissance vaso-endothélial (VEGF) ne datent que des années 90, on mesure les progrès très rapides accomplis dans le développement des anti-VEGF pour lutter contre la DMLA. En une dizaine d’année, une première molécule, parfaitement ciblée, bénéficiait déjà d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en application intraoculaire pour la DMLA néovasculaire, le pegaptanib (Macugen), produit techniquement très abouti puisqu’il s’agissait d’un oligonucléotide se liant à l’isoforme 165 du VEGF. Il était en outre pégylé (liaison covalente avec polyéthylen glycol) afin d’augmenter son hydrophilie et sa durée de vie dans le vitré. L’avantage net du pegaptanib en termes d’efficacité clinique sur ses concurrents initiaux (photocoagulation plus ou moins optimisée par la vertéporfine intraveineuse) a définitivement ouvert le marché des anti-angiogéniques, même si d’autres anti-VEGF ont rapidement pris l’avantage.
Pour mieux comprendre les progrès réalisés dans le domaine, il convient de se rappeler que les anticorps les plus communs (IgG) sont en réalité composés de quatre molécules, deux dites lourdes et liées entre elles pour former un Y et deux autres, dites légères, qui se collent chacune à l’intérieur de la fourche du Y. Au final, l’anticorps prend la forme d’une pince au bout d’un manche (qu’on appelle respectivement les fragments Fab et Fc). Seule l’extrémité de la pince est spécifique de l’antigène visé (on l’appelle aussi la partie variable), alors que tout le reste est dit « constant » car non spécifique, et même identique pour les anticorps d’une même classe (IgG, IgE, etc).  Cette partie constante n’est pas pour autant inerte, elle régit les propriétés biodynamiques des anticorps (longue durée de vie dans la circulation générale) et surtout les mécanismes immunitaires qu’ils induisent (par exemple activation du complément, opsonisation, etc..).
Dans le cadre de la lutte contre le VEGF, les propriétés des anticorps ont été détournées car il ne s’agit évidemment pas de générer une auto-immunité contre le VEGF. Les chercheurs ont en effet imaginé utiliser les anticorps pour une fonction différente de leur objectif initial : la capture par un anticorps spécifique d’un facteur soluble potentiellement toxique (le VEGF en l’occurrence) permet de bloquer sa liaison avec son récepteur cellulaire (récepteur au VEGF, ou VEGF-R, dans ce cas) et ainsi inhiber son effet biologique. C’est exactement le principe de l’utilisation du bevacizumab.
Le bevacizumab est un anticorps complet et humanisé dirigé contre le VEGF-A (l’isoforme du VEGF la plus active dans la DMLA). Il a d’abord été introduit de façon empirique en ophtalmologie, par analogie avec son efficacité anti-angiogénique démontrée dans certains cancers (notamment digestifs). Même s’il ne disposait pas d’une AMM en ophtalmologie, faute d’études princeps dans cette indication, il a été rapidement très utilisé en raison de son efficacité clinique, avant que ne soient disponibles ses futurs concurrents.
L’innovation suivante a été d’alléger la molécule thérapeutique, en ne conservant que le fragment Fab, capable de reconnaitre le VEGF. Ainsi, l’encombrement (et le poids) de la molécule thérapeutique sont réduits, sans que les capacités de capture du VEGF n’en soient diminuées. Cette propriété a été à l’origine du développement du ranibizumab, produit dérivé du bevacizumab par troncation du fragment Fc. Le ranibizumab a d’ailleurs rapidement fait la preuve de son efficacité dans le traitement des néovaisseaux de la DMLA, et a donc obtenu une AMM en ophtalmologie.
Face au ranibizumab, est apparu assez rapidement sur le marché un autre produit bloquant l’activité du VEGF, mais par une stratégie différente, l’aflibercept. Il s’agit d’une chimère, composée d’une part de la portion extracellulaire des récepteurs au VEGF (type 1 et type 2) et d’autre part du fragment Fc d’un anticorps humain. Cette combinaison sert de leurre : elle est capable de capter les molécules de VEGF solubles, et donc de bloquer, de façon stable, la liaison entre le VEGF et ses récepteurs naturels des cellules endothéliales. Ces deux stratégies (anticorps tronqué pour le ranibizumab ou récepteurs solubilisés pour l’aflibercept) ont montré depuis de nombreuses années une très bonne efficacité clinique, ainsi qu’une bonne tolérance, et les diverses études de recherche clinique les mettant en face à face ont surtout permis d’optimiser les protocoles de délivrance pour obtenir un contrôle de la maladie néovasculaire tout en espaçant de plus en plus les injections.
Compte tenu de l’impact médico-économique de la DMLA dans le monde entier, l’industrie pharmaceutique continue sa quête de produits permettant d’augmenter encore l’intervalle entre deux injections, car les autorités de santé, les organismes payeurs et surtout les ophtalmologistes ont logiquement tendance à privilégier les schémas thérapeutiques les plus simples.
Dans ce cadre, un nouvel anti-angiogénique s’apprête à arriver très prochainement sur le marché, et son développement illustre parfaitement l’escalade technologique dont bénéficie toute la famille des anti-VEGF.  
L’idée a été d’isoler, dans un premier temps, les deux fragments variables d’un anticorps dirigé contre le VEGF, c’est-à-dire l’extrémité du Y de la chaine lourde et de la chaine variable, respectivement. Ces deux fragments représentent en fait la plus petite unité spécifique de l’anticorps initial. Sous réserve qu’ils soient agencés correctement entre eux, ces deux fragments minimalistes conservent théoriquement leur spécificité. Pour conserver cette structure tri-dimensionnelle très particulière, il a été imaginé qu’une chaine protéique, elle-même de petite taille, et reliant ces deux fragments variables pourrait leur servir de support pour se replier normalement, et ainsi conserver leur spécificité. Cette structure très particulière, dont l’acronyme anglais est ScFV, est aussi utilisée dans d’autres indications thérapeutiques, comme dans la lutte contre le cancer par exemple avec les CAR-Tcells. Dans le cas précis de notre sujet, les multiples techniques de génie génétique suivies d’un criblage de plusieurs milliers de constructions protéiques candidates, ont permis d’aboutir au brolucizumab, dernier né des anti-VEGF.

Il s’agit d’un produit toujours aussi spécifique de sa cible (VEGF), mais de beaucoup plus petite taille que l’anticorps historique (le bevacizumab), et même que le ranibizumab en l’occurrence (il n’y a plus la partie constante du fragment Fab, et ne persiste que l’extrémité d’une des deux branches du Y). Cette simplicité structurelle permet d’atteindre des concentrations plus importantes de molécules actives dans un même volume d’injection, et donc potentiellement une pénétration tissulaire plus efficace. Pour donner un ordre d’idée, le nombre de molécules actives dans une dose de brolucizumab est environ 20 fois supérieure à celle d’une dose en ranibizumab. La conséquence de cette donnée a d’abord été testée chez l’animal : après injection intravitréenne, l’exposition au produit dans la rétine de lapin est 2,2 fois plus élevée avec le brolucizumab qu’avec le ranibizumab, et 1,7 fois dans l'épithélium pigmentaire rétinien (RPE) et la choroïde.
Dans ces conditions, la publication définitive dans un journal scientifique international des premières études d’efficacité (phase 3) chez l’homme du brolucizumab étaient attendues, et c’est chose faite avec cet article paru dans le numéro de Janvier 2020 d’Ophthalmology, combinant les résultats des deux études princeps sur le brolucizumab. Notre revue de presse avait déjà analysé une partie de ces résultats lors de la prépublication disponible en ligne, et nous profitons de cette publication officielle en version définitive pour revenir sur ces résultats importants tout en les replaçant dans le contexte plus général des anti-VEGF dans la DMLA néovasculaire.
Connues sous le nom de HAWK et HARRIER, ces deux études randomisées de phase 3 comparant le brolucizumab à l'aflibercept dans la DMLA néovasculaire étaient très proches dans leurs schémas thérapeutiques. Après vérification des critères d’inclusion, les patients ont été randomisés entre brolucizumab intravitréen (3mg ou 6 mg dans HAWK, et 6mg dans HARRIER) ou aflibercept (2 mg). Une fois les 3 injections de charge réalisées à 1 mois d’intervalle, les yeux traités par brolucizumab recevaient une injection toutes les 12 semaines (q12w), délai qui pouvait être réduit à 8 semaines q8w) en cas de reprise d’activité néovasculaire, tandis que les injections d’aflibercept étaient toujours renouvelées toutes les 8 semaines après la période de charge. Cette façon très particulière de comparer les traitements reposait sur les résultats espérés du brolucizumab, c’est-à-dire une longue durée d’action, comme cela avait été déjà suggéré dans l’étude de Phase 2 préalable (étude OSPREY, Dugel PU et al, Ophthalmology. 2017;124:1296). En d’autres termes, les études HAWK et HARRIER avaient pour objectif de montrer qu’un schéma de type q12w / q8w avec le brolucizumab n'est pas inférieur à un intervalle fixe (q8w) avec l’aflibercept.
Au total, 1082 patients ont été inclus dans HAWK et 743 dans HARRIER, avec un suivi à 2 ans sur 408 sites. Dans le groupe brolucizumab, 49% et 55% des patients ont pu garder un rythme d’injection à 12 semaines pendant tout le suivi (pas de récidive néovasculaire). Cependant, si seuls les patients n’ayant plus de signe d’activité de la maladie après le premier intervalle à 12 semaines étaient pris en compte, leur chance de rester contrôlés sur ce rythme de 12 semaines était de 81% et 85% (pour HAWK et HARRIER, respectivement). Ceci suggère d’ailleurs qu’en pratique quotidienne, les bons répondeurs d’emblée au brolucizumab auront probablement de grandes chances de le rester sur une période de 2 ans, au minimum. Au terme des 2 ans de suivi de ces études, l’acuité visuelle (échelle EDTRS) avait progressé de 6,1 à 6,9 lettres avec le brolucizumab versus 6,8 à 7,8 avec le ranibizumab, soit un résultat non-inférieur malgré l’espacement des injections avec la nouvelle molécule. Cette amélioration d’acuité visuelle pourrait paraître décevante, car plus faible que celle observée dans les études princeps sur le ranibizumab (gain de 6,5 à 7,2 lettres et de 8,5 à 11,3 lettres à 1 an dans les études MARINA et ANCHOR, respectivement) ou sur l’aflibercept (6,9 à 10,9 lettres, études VIEW 1/2), mais il faut revenir sur les conditions d’inclusion pour ces études. Étant moins restrictives dans HAWK et HARRIER (limite à 78 lettres EDTRS contre 73 pour les précédentes), elles ne pouvaient laisser espérer une aussi grande amplitude de récupération visuelle, car de façon globale, les études sur la DMLA néovasculaire ont toutes montré que l’amplitude de récupération est d’autant plus grande que le patient voit mal au moment de l’inclusion. Parallèlement, la réduction d’épaisseur rétinienne était plus importante avec le brolucizumab 6mg qu’avec l’aflibercept dans HAWK et HARRIER (-172,8 vs -143,7 µm, p=0,001 et -193,8 vs -143,9 mm, p<0,001). De même, les pourcentages de patients gardant du fluide intra- ou sous-rétinien étaient moins importants avec le brolucizumab.
Cet article combinant les études HAWK et HARRIER restera très probablement longtemps dans les annales, comme toutes les études de référence sur une nouvelle molécule. On les retrouvera sûrement en référence dans les publications futures, car le prochain objectif des divers laboratoires pharmaceutiques sera désormais de montrer que leur produit peut, lui aussi, contrôler la DMLA néovasculaire avec des injections espacées de 12 semaines. Cette course à l’innovation technologique a au moins un avantage, celui de tendre à simplifier la vie des patients en leur permettant de subir des injections intravitréennes le moins souvent possible. On observe à cet égard que le rythme de référence à déjà réduit d’un facteur 3 depuis les premières publications de référence sur les anti-VEGF, il y a moins de 15 ans. On ne peut qu’espérer, pour les patients comme pour la fluidité du système de soins, que ces progrès continuent.

Yuan N, Li J, Tang S, Li FF, Lee CO, Ng MPH, Cheung CY, Tham CC, Pang CP, Chen LJ, Yam JC. Association of secondhand smoking exposure with choroidal thinning in children aged 6 to 8 years: The Hong Kong children eye study. JAMA Ophthalmol. 2019 Oct 17:1-9.

1 Raghuveer G et al. Cardiovascular consequences of childhood secondhand tobacco smoke exposure: prevailing evidence, burden, and racial and socioeconomic disparities. a scientific statement from the American Heart Association. Circulation. 2016;134 (16):e336-e359


Reviewer : Jean Rémi Fénolland, thématique : rétine médicale / pédiatrie.