La trottinette et la santé ...L’intelligence artificielle...Atropine pour freiner la myopie ...La lame criblée...Angio-OCT et amblyopie

La trottinette et la santé : du canular qui en dit beaucoup plus long qu’il n’y parait aux données purement ophtalmologiques et fiables

C’est au milieu du mois d’août que l’un des plus beaux canulars dans l’histoire de la presse scientifique a vu officiellement le jour, il est d’origine française (Oodendijk et al), et il n’est pas que drôle, car il soulève des questions essentielles sur la façon de lire la presse scientifique.
Il paraissait pourtant difficile de faire mieux que le déjà exceptionnel double canular publié dans le BMJ (British Medical Journal). En 2003, Gordon Smith and Jill Pell,  respectivement professeur à Cambridge et consultant en santé publique à Glasgow publiaient dans le très sérieux journal médical britannique un article provocateur, sous la forme d’une revue systématique de la littérature (méta-analyse) démontrant qu’en l’absence d’essai randomisé et contrôlé sur un nombre suffisant de patients, il était impossible de conclure scientifiquement que le parachute est une bonne solution pour prévenir des risques de traumatisme lorsqu’on saute d’un avion (ce que les auteurs appelaient un « challenge gravitationnel »). Ce trait d’humour typiquement anglais attaquait, aussi frontalement qu’élégamment, le concept de la « médecine basée sur des preuves », ou EBM, lorsque celle-ci devient un dogme découplé du bon sens le plus élémentaire. La discussion sous-jacente était importante. On sait par exemple que des molécules pourtant largement utilisées tous les jours, en grosses quantités et depuis des décennies, telles que l’aspirine ou les corticostéroïdes oraux, auraient du mal à passer les fourches caudines des multiples critères d’évaluation actuellement exigés pour autoriser la mise sur le marché de tout nouveau médicament. Même si de façon générale leur efficacité est indiscutable et leur place indispensable dans beaucoup de situations médicales courantes, ce sont certainement leurs effets indésirables qui les disqualifieraient aujourd’hui. Mais la même logique, lorsqu’elle fut appliquée aux inhibiteurs de la cyclo-oxygènase 2 (les « coxibs ») dont l’indication était aussi la lutte contre l’inflammation, a finalement conduit à leur éviction en raison du sur-risque d’accidents thrombotiques qu’ils entrainaient, sur-risque alors considéré comme intolérable car nouveau, alors même que les médicaments contrôles dans ces études (les fameux AINS oraux classiques) restaient sur le marché malgré un risque d’hémorragies sévères, loin d’être rare, peut-être même plus important, mais bien connu donc accepté.
Mais revenons à ce canular sur le parachute. En 2018, d’autres auteurs de Harvard (Boston) et de Californie, ont poussé le bouchon un peu plus loin. La même revue, BMJ, a joué le jeu en publiant un essai randomisé et contrôlé sur l’utilisation du parachute qui démontrait que celui-ci n’est pas plus efficace que l’absence totale de système de protection anti-chute lorsqu’on saute d’un avion. La conclusion, surprenante, correspondait bien aux résultats de l’étude, la publication était donc scientifiquement valide, et donc publiable. Mais il fallait juste prendre le temps, pour la comprendre, de lire les rubriques Matériels et Méthodes, ce qu’on oublie souvent de faire malheureusement. Car les volontaires, randomisés sur le port d’un parachute ou non, sautaient en réalité d’un avion encore au sol et immobile. Dans ces conditions, le port du parachute ne démontrait pas sa supériorité́ préventive sur la méthode contrôle, et on pouvait donc dire qu’il ne servait à rien pour sauter d’un avion, si l’on prenait le soin d’omettre de préciser « sauf si l’avion vole ».
Le débat ouvert par le canular de cet été est différent dans son sujet, mais il rejoint le premier sur un point majeur : comment les médecins doivent-ils appréhender les informations scientifiques nouvelles pour parfaire leur formation continue, et donc améliorer leurs compétences réelles ?
L’article en question, initialement publié très officiellement en août 2020 dans la revue en ligne « Asian Journal of Medicine and Health » a récemment été retiré de la liste des publications consultables sur le site du journal, depuis que ses éditeurs ont pris conscience de la situation. Il reste toutefois possible de télécharger la version anglaise (celle initialement acceptée) et sa traduction française sur le blog mis en place par un des auteurs (voir lien ci-dessous), ce qui permet d’accéder à un texte qui est désopilant en première lecture.
Les auteurs ont en effet choisi d’aligner un nombre incroyable de contresens, d’idioties, de jeux de mots, et de données totalement farfelues, et tout cela n’a pas empêché cet article d’être, à terme, publié officiellement dans une revue dite scientifique et accessible à tous en ligne. Tout dans le texte n’est que dérision, depuis le titre qui suggère que la combinaison d’hydroxychloroquine et d’azithromycine participerait efficacement à la prévention des accidents de trottinette jusqu’à la discussion qui propose que ces traitements soient directement incorporés dans le sel de table pour une diffusion optimale à la population générale, utilisatrice de trottinette ou pas. Entre-temps, il est impossible de ne pas sourire au nom des auteurs (des pseudonymes flagrants, dont le nom du chien de notre Président de la République), de ne pas rire en lisant la justification détaillée de la contribution de chaque auteur (juste en dessous de leurs noms), et l’on atteint des sommets du non-sens dans le paragraphe sur les matériels et méthodes, où il est expliqué que l’étude combine en fait plusieurs sous-études, dont une déclarée comme « randomisée contrôlée mais rétrospective » (un oxymore parfait), le tout avec des petits effectifs et en changeant les critères d’analyse au fur et à mesure du recueil des résultats, dont la création de nouveaux de tests statistiques destinés à atteindre la significativité tant attendue …
On pourrait penser que l’article a été publié en l’état grâce à un grand sens de l’humour de la part des éditeurs, à l’image de ce qu’avait fait le BMJ pour les deux articles sur les parachutes, mais il ne semble pas que ce soit le cas. On peut s’en convaincre en se rendant sur le site du journal (lien ci-dessous) et constater que si l’article n’est plus disponible, l’historique du processus de soumission l’est encore, il est alors possible de lire toutes les remarques que les reviewers et l’éditeur en chef ont adressées aux auteurs.

L’un d’entre eux a d’ailleurs ouvert un blog pour raconter, a posteriori, cette soumission inhabituelle (lien ci-dessous), et ce qu’il y relate laisse rêveur sur la perméabilité du processus de sélection des publications qu’ils ont subi. Elle les a même incitées à en rajouter au moment de la version révisée, allant même jusqu’à citer notre Jean-Claude Dusse national (« on sait jamais, sur un malentendu, ça peut passer ») dans la version finalement publiée !
Cet auteur explique aussi dans son blog les motivations profondes de cette publication cocasse, et c’est pourtant là que les choses redeviennent sérieuses. L’idée était apparemment de répondre à certaines publications parues pendant la période de crise sanitaire à propos de certaines options thérapeutiques et surtout de démontrer, par l’absurde, que certaines revues, affichées comme scientifiques, n’ont pas vraiment pour but principal et unique de fournir une information fiable aux médecins qui lisent leur production. On parle d’ailleurs souvent de « revues prédatrices » à leur propos, au sens où l’enjeu est surtout de capter des auteurs, potentiellement source de revenus (certains sites internet en donnent des listes).  Ces revues demandent en effet une participation financière aux frais de publication (malgré le mode dématérialisé) et de gestion de la procédure de revue par les pairs (peer-review, pourtant gratuit puisqu’il y a de nombreux médecins qui acceptent d’aider gracieusement les revues dans ces processus d’évaluation). Et il semble que ce soit bien à cette étape que le bât blesse, puisque le canular, pourtant énorme, ne semble avoir été détecté par aucun des trois reviewers, ni par l’éditeur en chef. En conséquence, la version révisée de l’article a été acceptée le 12 août, soit seulement 19 jours après la soumission initiale, délai incroyablement court lorsqu’on le compare à celui observé avec les revues de référence.

Le message envoyé en filigrane par les auteurs de ce canular ne doit pas échapper à tous les médecins, praticiens à plein temps et/ou aussi impliqués dans l’amélioration des pratiques. Car cette blague, apparemment potache, traduit un phénomène relativement récent mais grandissant, celui de la course à la publication, quel qu’en soit le prix.
Toutes les équipes médicales du monde sont désormais soumises à une méthode d’évaluation de leurs performances, essentiellement basée sur les publications réalisées (une variable assez facile à mesurer grâce à internet). Des officines à but lucratif ont rapidement compris qu’il y avait un marché majeur à capter, celui des articles initialement refoulés par les grandes revues (souvent pour manque de qualité́) mais que les auteurs doivent néanmoins publier quelque part pour rendre compte de leur activité. Le nombre de ces journaux est d’ailleurs tel qu’ils en viennent à solliciter en permanence les auteurs potentiels pour remplir leurs numéros, et offrent des remises substantielles sur les frais d’édition (comme ce fut apparemment le cas pour cet article, 55 euros au lieu de 500). Le risque de tout ce système n’est pas uniquement la dilution de la vraie information scientifique dans un océan de données non-fiables, mais surtout la possibilité de toujours trouver une publication qui dise ce que l’on a envie d’entendre. Finalement, il est en de l’information médicale comme de l’information politique, ce qui n’est pas forcément rassurant, et à l’heure où tout passe par le réseau, sans filtre, il devient urgent d’apprendre aux jeunes médecins à savoir séparer le bon grain de l’ivraie en vérifiant la fiabilité de leurs lectures.  
La trottinette est décidément une source d’inspiration pour les docteurs, mais cette fois-ci de façon beaucoup plus sérieuse. L’équipe de San Diego a publié dans le numéro de septembre d’Ophthalmology une revue rétrospective des traumatismes faciaux par chute de de trottinettes électriques. Ils ont identifié sur leur région 34 cas entre juin 2018 et mai 2019, qui concernaient à 74% des hommes, âgés en moyenne de 36,7 ans. Ces traumatismes étaient en général majeurs, puisque 94 % des patients présentaient au moins une fracture du massif facial, et 79 % en présentaient plusieurs, dont 12% de formes bilatérales. Le plancher de l’orbite et la paroi latérale étaient touchés dans plus de la moitié des cas, tandis que le plafond orbitaire (risque de brèche méningée) et la paroi médiale étaient fracturées dans un quart des cas. L’œil était aussi touché dans plus d’un cas sur dix, avec 11% de lacérations palpébrales. L’acuité visuelle à l’arrivée aux urgences était normale pour tous les patients, sauf un qui avait totalement perdu la perception lumineuse par hémorragie rétrobulbaire compressive, ayant nécessité une canthotomie en urgence pour recouvrer la vision. Un autre patient présentait des hémorragies intrarétiniennes mais sans conséquences visuelles. Au total, 24 % des patients ont dû être opéréś rapidement après leur admission, 12 % ont été intubés pour préserver les fonctions respiratoires et 21 % présentaient des lésions intracrâniennes hémorragiques (un patient a même dû subir une craniotomie en raison d’une contusion cérébrale massive).
L’accident de trottinette ne doit donc pas être pris à la légère, malgré les apparences, car même si l’examen des globes oculaires est finalement rassurant dans la plupart des cas, le vrai danger est de méconnaitre une fracture faciale sévère (avec le risque de brèche ostéo-méningée) ou une contusion cérébrale. L’autre leçon à tirer de cette étude concerne les circonstances de ces accidents : aucun des patients ne portait de casque avant la chute (une modification de la loi californienne a récemment allégé les règles de sécurité concernant le casque, d’après l’auteur… ) et 74 %  des accidentés étaient sous l’emprise de la drogue ou de l’alcool. Parmi eux, le taux moyen d’alcoolémie était tout de même de 2 grammes par litre de sang, soit près de trois fois la limite autorisée pour la conduite automobile en Californie (identique à celle de la France). Si l’alcool a probablement contribué à ces chutes de trottinette, on ne peut s’empêcher de penser qu’ils ont probablement sauvé des vies en préférant ce moyen de locomotion à la voiture, dans cet état… Enfin, et comme attendu pour un article paru dans une vraie revue scientifique de très haute qualité, les auteurs n’émettent pas d’hypothèse non-étayée par des résultats indiscutables sur la prévention des accidents de trottinette par un moyen médicamenteux quelconque...

 

Willard Oodendijk, Michaël Rochoy, Valentin Ruggeri, Florian Cova, Didier Lembrouille, Sylvano Trottinetta, Otter F. Hantome, Nemo Macron and Manis Javanica: SARS-CoV-2 was Unexpectedly Deadlier than Push-scooters: Could Hydroxychloroquine be the Unique Solution? Asian Journal of Medicine and Health. Asian Journal of Medicine and Health 2020; 18(9):14-21
Lien pour la version officiellement retirée https://www.journalajmah.com/index.php/AJMAH/article/view/30232
Lien vers le blog d’un des auteurs (avec version téléchargeable)
http://www.mimiryudo.com/blog/2020/08/le-meilleur-article-de-tous-les-temps/?fbclid=IwAR0Ma0JYrdfg7kmbtf6qldhmZ8Pg5dFzb9qXmcTVD64D8pGVxXaK_dQwgoo
Smith GCS, Pell JP: Parachute use to prevent death and major trauma related to gravitational challenge: systematic review of randomised controlled trials. BMJ 2003;327:1459
Yeh RW, Valsdottir LR, Yeh MW, Shen C, Kramer DB, Strom JB, Secemsky EA, Healy JL, Domeier RM, Kazi DS, Nallamothu BK; PARACHUTE Investigators. Parachute use to prevent death and major trauma when jumping from aircraft: randomized controlled trial. BMJ 2018;363:k5094
Yarmohammadi A, Baxter SL, Ediriwickrema LS, Williams EC, Kobayashi LM, Liu CY, Korn BS, Kikkawa DO. Characterization of Facial Trauma Associated with Standing Electric Scooter Injuries. Ophthalmology, 2020 Jul;127(7):988-990

Reviewer : Marc Labetoulle

L’intelligence artificielle pour prédire l’évolution de la DMLA

La description et la compréhension des éléments prédictifs de l’évolution des lésions de maculopathie liée à l’âge (MLA) vers la DMLA (atrophique ou néovasculaire) constituent des enjeux de santé majeur. En effet, dans notre population vieillissante, ils permettraient d’optimiser le suivi et de diminuer les risques d’évolution vers des formes avancées, responsables de baisse visuelle et de perte d’autonomie.
C’était déjà l’objectif de la classification de l’AREDS (Age-Related Eye Disease Study), reposant sur 9 stades photographiques, prenant en compte les drusens et altérations de l’épithélium pigmenté (AEP). Ces stades étaient associés à un risque d’évolution vers la DMLA augmentant progressivement de 1 à 50%.1
Waldstein et al. nous proposent dans le numéro de juillet de JAMA Ophthalmology une démarche plus actuelle utilisant des paramètres OCT avec analyse automatisée des images reposant sur l’intelligence artificielle (IA).
Les auteurs avaient pour objectifs de caractériser des profils combinant distribution spatiale / volume et évolution dans le temps des drusens et des foci hyper-réflectifs (FH, qui représentent la traduction OCT des AEP), associés à la conversion des MLA en DMLA atrophique (DMLAa) ou néovasculaire (DMLAn). Pour se faire, ils ont recueilli les données d’acquisitions volumétriques en OCT en domaine spectral des yeux adelphes des patients atteints de DMLAn unilatérale inclus dans l’étude HARBOR (comparant les injections mensuelles, versus pro renata, de ranibizumab dans la DMLAn, avec suivi mensuel sur 24 mois). Les scans des OCT des yeux inclus ont ensuite été tous re-alignés sur les repères vasculaires rétiniens pour  mieux les comparer, puis ont été intégrés dans un « atlas spatio-temporel », permettant l’étude de l’évolution dans le temps et l’espace des drusens et des FH.
A l’aide d’algorithmes d’IA validés préalablement, les auteurs ont segmenté de façon automatisée les drusens et les FH, permettant ainsi un calcul de leur volume total et de leur topographie, analysés dans plusieurs zones concentriques de la rétine, centrées par la fovéa (0 à 0,5mm, 0,5 à 1,5mm et 1,5 à 3mm). Les yeux étaient divisés en 3 catégories : i) évolution vers une DMLAa, ii) évolution vers une DMLAn, iii) absence d’évolution.
Au total, sur les 1097 patients inclus dans HARBOR, 518 étaient au stade MLA dans l’œil adelphe au moment de l’inclusion. Pendant la période d’étude, 135 ont développé une DMLAn, 50 une DMLAa et 333 sont restés au stade de MLA.

Dans un premier temps, les auteurs se sont basés uniquement sur les scans précédant immédiatement la transformation de MLA en DMLA. L’épaisseur des drusens, maximale au niveau fovéal (0 à 0,5mm) dans tous les groupes, était plus importante dans le groupe des yeux ayant progressé vers une DMLAn que dans les autres groupes (29,6 μm versus 17,2 μm dans le groupe progressant vers l’atrophie et 17,1 μm dans le groupe n’ayant pas progressé).

A l’inverse, les FH étudiés dans la zone 0,5-1,5mm où leur épaisseur était plus importante étaient globalement plus épais dans les yeux ayant progressé vers une DMLAa, (0,23 μm) que dans ceux ayant progressé vers une DMLAn (0,16 μm) ou n’ayant pas progressé (0,08 μm).  
Dans un second temps, ils ont analysé l’évolution du volume total des drusens et des FH dans les 3 groupes, dans la période qui précédaient le développement (ou non) de la DMLA. Le volume des drusens augmentait au cours du temps dans les 3 groupes, mais de façon plus marquée dans les yeux ayant évolué vers une DMLAn (2,1 × 106 μm3 par mois) que ceux ayant évolué vers une DMLAa (0,7 × 106 μm3 par mois) ou ceux n’ayant pas progressé (0,6 × 106 μm3 par mois). L’évolution des FH n’était pas aussi marquée, mais elle semblait également plus importante dans les yeux ayant progressé vers une DMLAn.
Enfin, les auteurs ont comparé les aires sous les courbes ROC (AUC) des différents paramètres pour prédire l’évolution vers une forme ou l’autre. Pour l’évolution vers une DMLAn, l’AUC maximale était obtenue avec l’épaisseur des drusens dans la zone 0,5-1,5mm, mais elle n’était que de 0,66 (une prédictibilité parfaite se rapprocherait de 1). Pour prédire l’évolution vers une DMLAa, c’était l’AUC des FH dans la zone 0,5-1,5mm qui était optimale, sans atteindre cependant une valeur très satisfaisante (0,73).
On comprend à la lecture de cet article qu’on est encore loin d’une prédiction du risque personnalisée en routine. Toutefois, la technique présentée par ces auteurs est très innovante. L’analyse d’autres éléments des scans OCT tels que la forme des drusens ou leur hyper réflectivité permettra sans doute de mieux caractériser l’histoire naturelle et peut être la physiopathologie encore largement méconnue de la DMLA, et d’affiner ces outils de prédiction, afin qu’ils puissent dans le futur équiper nos machines de consultation.

1) Davis MD, Gangnon RE, Lee LY,  et al. Age-Related Eye Disease Study Group.  The Age-Related Eye Disease Study severity scale for age-related macular degeneration: AREDS report No. 17.   Arch Ophthalmol. 2005;123(11):1484-1498.

Waldstein SM, Vogl WD, Bogunovic H, Sadeghipour A, Riedl S, Schmidt-Erfurth U. Characterization of Drusen and Hyperreflective Foci as Biomarkers for Disease Progression in Age-Related Macular Degeneration Using Artificial Intelligence in Optical Coherence Tomography. JAMA Ophthalmol. 2020;138(7):740-747.

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : rétine médicale. 

Atropine pour freiner la myopie : Les résultats de la deuxième phase de l’étude LAMP confirment la supériorité du collyre à 0,05%

Début 2019, nous abordions dans ces colonnes la méthodologie et les résultats de la phase 1 de l’étude LAMP (Low-Concentration Atropine for Myopia Progression) et soulignions les qualités de la méthodologie de cette étude d’envergure. Après un bref rappel des différentes phases de cette étude et des résultats de la phase 1, nous verrons ce que nous apprennent les résultats de la phase 2 de l’étude, publiée cet été dans Ophthalmology.
Cette étude contrôlée en double insu comprend donc 4 phases et a inclus 438 enfants âgés de 4 à 12 ans atteints de myopie (supérieure à -1D) évolutive (plus de 0,5D au cours de l’année précédant l’inclusion) (voir revue de la presse de février 2019 pour plus de détails).
- la phase 1, d’une durée d’un an, correspondait à une période de traitement par instillation quotidienne d’une goutte de l’un des 3 collyres à l’atropine (0,05%, 0,025% et 0,01%) ou un placebo. Les résultats permettaient de conclure que même si la concentration la plus faible (0,01%) faisait mieux que le placebo, celle à 0,05% apportait une meilleure protection contre la progression myopique, en gardant un profil de tolérance satisfaisant.
- Pendant la phase 2 (sujet de cette revue de presse), d’une durée de 1 an, le meilleur traitement de la phase 1 (donc 0,05%) remplaçait le placebo, les autres groupes restaient inchangés (les traitements initiaux ont été poursuivis). Il s’agissait donc surtout d’analyser les résultats à 2 ans des groupes traités depuis le début de l’étude.
- la phase 3 (un an) correspondra à un arrêt de tous les traitements, sauf pour le groupe ayant reçu le placebo pendant un an, qui continue à être traité au long cours. Cette période servira à analyser, sur les 3 groupes traités 2 ans, le risque de rebond de l’évolution myopique chez les patients ayant reçu de l’atropine dès la phase 1.
- Enfin, la phase 4 évaluera sur 2 ans les effets à long terme de l’atropine topique après son arrêt (pour les 3 groupes ayant reçu l’atropine dès la phase 1) ou lorsqu’elle est poursuivie à plus long terme (groupe croisé, ayant reçu le placebo en phase 1).
Les investigateurs ont tout de même prévu de reprendre l’atropine chez les sujets dont la myopie progresserait de plus de 0,5 D après l’arrêt des collyres. Au total, cette étude très ambitieuse, avec 4 groupes de jeunes patients suivis pendant 5 ans, devrait donc apporter de nombreuses réponses.

Les résultats de la phase 2 présentés dans cet article corroborent ceux de la phase 1. En effet, après 2 ans de traitement, les progressions de l’équivalent sphérique (ES) étaient de -0,550,86, -0,850,73 et -1,120,85D dans les groupes 0,05%, 0,025% et 0,01%, respectivement, avec des différences entre les groupes toutes statistiquement significatives. La supériorité de la concentration à 0,05% se retrouvait sur la longueur axiale (LA), qui augmentait de 0,390,35, 0,500,33 et 0,590,38mm dans les 3 groupes (dans le même ordre), avec une différence significative du groupe 0,05% par rapport aux deux autres, mais non significative entre les groupes 0,025% et 0,01%. Comparativement à la première année de traitement, la progression myopique était similaire au cours de la deuxième année avec les concentrations de 0,05% et 0,025%, mais augmentait légèrement et de façon significative dans le groupe 0,01%.
Dans le groupe initialement placebo (modifié pour du collyre à l’atropine à 0,05% au terme de la phase 1), l’évolution de la myopie était très nettement freinée par la mise sous atropine, avec une progression de l’ES de -0,18D dans cette seconde année de participation contre -0,82D lors de la première année, sous placebo. Idem pour la longueur axiale, qui n’augmentait que de 0,15mm au cours de cette deuxième année (avec traitement) contre 0,43mm au cours de la première année.
La perte d’accommodation et les modifications du diamètre pupillaire étaient stables lors de la seconde année (ces deux effets secondaires ont une plus grande amplitude avec les collyres les plus concentrés), l’acuité visuelle et la qualité de vie associée à la vision restaient toutefois non affectées par les traitements, quel que soit le groupe de traitement.
En conclusion, après deux ans de traitement, l’atropine à 0,05% est environ deux fois plus efficace pour réduire la progression de la myopie que l’atropine à 0,01%. La tolérance n’a pas évolué au cours de la seconde année. Ces résultats devront donc être complétées par les études de l’effet rebond après arrêt du traitement, et généralisés à d’autres populations sachant que l’étude LAMP a été menée sur des patients asiatiques.
Au même moment, une autre étude a débuté au Royaume-Uni comparant sur 2 ans l’effet d’un placebo contre une instillation quotidienne d’atropine à 0,01%, avec des critères d’inclusion et de jugement relativement similaires à LAMP. Le protocole de cette étude intitulée CHAMP-UK (publié dans le numéro de juillet du British Journal of Ophthalmology), qui prend le parti d’utiliser l’atropine la moins concentrée, semble paradoxal aux vues des premiers résultats de LAMP. Les auteurs justifient ce choix par un effet rebond potentiellement moindre avec cette concentration, ce à quoi, l’étude LAMP a, dans tous les cas, prévu de répondre.
Suite l’année prochaine pour la phase 3 de LAMP !

Yam JC, Li FF, Zhang X, et al. Two-Year Clinical Trial of the Low-Concentration Atropine for Myopia Progression (LAMP) Study: Phase 2 Report. Ophthalmology. 2020;127(7):910-919.

Azuara-Blanco A, Logan N, Strang N, et al. Low-dose (0.01%) atropine eye-drops to reduce progression of myopia in children: a multicentre placebo-controlled randomised trial in the UK (CHAMP-UK)-study protocol. Br J Ophthalmol. 2020;104(7):950-955.

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : réfraction

 

La lame criblée, une niche de cellules souches neurales

Un très bel article de recherche fondamentale a été publié au mois d’août par une équipe de de l’université du Maryland, article qui pourrait changer beaucoup de choses dans l’approche de la physiopathologie du glaucome et pourrait donc  avoir un impact potentiellement important, à terme, en clinique.
Le professeur Steven Bernstein est un spécialiste de l’étude de la tête du nerf optique et en particulier des neuropathies optiques antérieures ischémiques aiguës (NOIAA). Dans un précédent travail en IRM, il rapportait que le nerf optique s’allonge de 80% entre la naissance et l’âge adulte, et il s’est donc intéressé au rôle que pourrait jouer la lame criblée, et plus généralement la région laminaire qui comprend également les portions pré- et rétrolaminaires, dans ce processus de croissance. Qui dit croissance, dit multiplication cellulaire, et il a donc tenté de chercher des cellules souches au niveau de la tête du nerf. Avec succès !
La portion laminaire de la tête du nerf optique est une zone de transition entre l’œil et le nerf optique, c’est-à-dire entre la partie myélinisée, ou non, du nerf optique. Au niveau de sa vascularisation, les études histologiques en microscopie bi-photonique réalisées chez la souris mais aussi chez l’homme mettent en évidence des plexus vasculaires entre les vaisseaux rétiniens et le nerf optique, ainsi qu’avec les vaisseaux choroïdiens. Cette zone possède toutes les aptitudes pour abriter une niche de cellules souches, et cela a été confirmé en imagerie multiphotons qui a permis de retrouver une très faible expression de la protéine AQP4 (famille des aquaporines) qui est classiquement exclue des niches de cellules souches. D’autre part, ces niches de cellules progénitrices neurales se caractérisent également par l’expression de la nestine (protéine filamenteuse de régulation de la neurogénèse) ainsi que de SOX2 (un facteur de transcription). Toujours en imagerie multiphotonique, la portion laminaire présentait des arguments pour jouer ce rôle de niche, puisqu’elle coexprimait SOX2 et la nestine.

La confirmation de ces observations s’est ensuite faite grâce à des modèles de souris transgéniques particulièrement complexes à décrire, mais qui permettaient de souligner l’expression in vivo de SOX2. Ces modèles de souris ont également permis aussi de caractériser le rôle joué par ces cellules souches neurales dans la myélinisation de la portion antérieure du nerf optique.
La suite du processus expérimental est passée par de la culture cellulaire de cellules issues de souris, mais aussi d’humains. Les auteurs sont en effet parvenus à cultiver des cellules progénitrices neurales et à les différencier en cellules gliales (astrocytes et oligodendrocytes). Enfin dans une dernière partie, ils ont démontré que l’âge altérait le nombre et le potentiel de division de ces cellules d’origine murine ou humaine.

Voici donc un travail particulièrement riche qui nous laisse spéculer sur de nouvelles théories dans la survenue du glaucome primitif à angle ouvert, maladie liée à l’âge et dont le rôle potentiel de cette nouvelle niche de cellules souches reste complètement à explorer et pourrait donner lieu à de nouveaux espoirs thérapeutiques.

Bernstein SL, Guo Y, Kerr C, et al. The optic nerve lamina region is a neural progenitor cell niche. Proc Natl Acad Sci U S A. 2020;117(32):19287-19298.

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : glaucome

 

Angio-OCT et amblyopie

De très nombreuses études se sont focalisées sur l’amblyopie afin d’essayer d’en trouver des caractéristiques structurelles en OCT. Certains ont rapporté des valeurs d’épaisseur centrale maculaire très légèrement plus faible que sur les yeux non amblyopes, d’autres ont montré que la hausse d’épaisseur de la zone ellipsoïde au niveau fovéolaire est moins constamment retrouvée que dans les yeux témoins, enfin certaines études objectivaient des pertes en cellules ganglionnaires maculaires, alors que d’autres études non. En somme, il n’y avait pas, jusqu’à présent, énormément de signes en OCT parfaitement reliés à l’état d’amblyopie.

Grâce aux résultats qu’ils nous livrent dans la revue JAMA Ophthalmology, Wong et al vont peut-être modifier l’approche de l’œil amblyope, qui reste encore un diagnostic d’exclusion. Cette fois-ci, il s’agit d’une étude cas témoin en OCT-angiographie (OCTA) issue de la base d’une vaste étude hong kongaise, la « Hong Kong Children Eye Study », qui a inclus des enfants âgés de 6 à 8 ans. Dans une sous population de cette étude qui comportait 1218 enfants, 30 yeux amblyopes et 1045 yeux témoins ont été comparés en OCTA grâce à un logiciel de segmentation automatique développé à l’aide du logiciel Matlab.

Les auteurs n’ont pas mis en évidence de différence significative dans l’aire de la zone avasculaire centrale (ZAC) entre les deux groupes, en revanche, la ZAC était moins circulaire chez les yeux amblyopes que dans les yeux témoins. L’algorithme de segmentation permettait d’extraire un « squelette » des vaisseaux de l’angiogramme et en calculait la dimension fractale, et cette dernière était significativement augmentée dans les yeux amblyopes. En ce qui concerne la densité des vaisseaux, les auteurs n’ont pas mis pas en évidence de différence entre les deux groupes, mais le diamètre moyen des vaisseaux était significativement supérieur pour les yeux amblyopes.

Au total, voici une première étude qui porte sur l’amblyopie et l’OCTA. Il faudra bien sûr confirmer ces résultats sur d’autres séries, et il serait particulièrement intéressant de pouvoir définir des valeurs seuils afin de rendre le diagnostic d’amblyopie plus objectif.

Wong ES, Zhang XJ, Yuan N, et al. Association of Optical Coherence Tomography Angiography Metrics With Detection of Impaired Macular Microvasculature and Decreased Vision in Amblyopic Eyes: The Hong Kong Children Eye. JAMA Ophthalmol. 2020;138(8):858-865.

 

Reviewer : Jean-Rémi Fénolland, thématique : amblyopie