Hypermétropie, myopie faible, myopie forte : même terrain génétique ?

Revue de la presse de juillet-aout 2021

Auteurs : Jean-Rémi Fénolland, Antoine Rousseau
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.


Hypermétropie, myopie faible, myopie forte : même terrain génétique ?

L’explosion actuelle de la prévalence de la myopie est principalement liée à des facteurs environnementaux, mais la forte héritabilité des troubles réfractifs dans leur ensemble a toujours laissé supposer des facteurs génétiques associés.

Bien qu’il existe de rares cas d’amétropies « monogéniques », les troubles de réfraction sont dans une immense majorité des cas considérés comme des maladies dont la génétique est complexe, c’est-à-dire faisant vraisemblablement intervenir plusieurs gènes.

Pour aller plus loin dans la compréhension de ce type d’hérédité, les généticiens utilisent les études d’association pangénomique (ou GWAS pour Genome-wide association study, voir 1 pour plus de détails). Le GWAS étudie les associations entre un allèle donné d'un SNP (single nucleotide polymorphism, ou variation d'un nucléotide) et le phénotype "malade" ou "non malade". Cette méthode, fonctionnant telle une étude « cas-témoin », repose donc sur le déséquilibre de liaison génétique qui existe au sein du génome humain entre un allèle d'un marqueur génétique (SNP) et un variant génétique potentiellement impliqué dans la maladie (qui constitue une partie du déterminisme génétique de la maladie complexe).

La base de données UK-Biobank (https://www.ukbiobank.ac.uk/) est à l’échelle mondiale l’un des projets en cours de grande ampleur pour étudier l’influence des facteurs génétiques sur les maladies les plus fréquentes. Cette cohorte prospective a inclus pas moins de 503 000 participants âgés de 40 à 69 ans résidant au Royaume-Uni entre 2016 et 2010, dont 117 000 ont bénéficié d’une évaluation ophtalmologique standardisée. L’étude publiée cet été dans JAMA-Ophthalmology s’attelait aux facteurs génétiques potentiellement associés aux amétropies sphériques. Une équipe de scientifiques et d’ophtalmologistes a donc exploité le matériel de l’UK-Biobank pour explorer ces prédispositions.

Les patients inclus dans l’UK-Biobank et ayant eu un examen ophtalmologique étaient séparés en plusieurs catégories d’amétropie, basées sur l’équivalent sphérique, et sans chevauchement des unes avec les autres, pour éviter toute erreur de classification : myopie forte (<-6D), myopie faible (entre -1 et -3D), amétropie (entre 0 et 1D) et hypermétropie (> 2D).

Un total de 51 841 individus non apparentés, d’origine européenne et 2165 individus d’origine asiatique étaient assignés à un de ces groupes spécifiques. Quatre GWAS ont été réalisés pour comparer la génétique des emmétropes à celle de chacune des catégories de troubles réfractifs, et celle de la myopie faible à celle de l’hypermétropie. Chaque catégorie était ensuite divisée en un contingent « exploratoire », constituant 90% de l’effectif de la catégorie, utilisé pour identifier les SNP liés à un phénotype donné, et un contingent de réplication (environ 10%) pour tester la valeur prédictive des scores de risques polygéniques (SRP), qu’on peut voir comme des « cocktails de SNP » associés à une situation clinique donnée.

De manière étonnante -voire contre-intuitive- les SRP dérivés des 4 GWAS étaient prédictifs de toutes les anomalies réfractives dans les contingents de réplications, aussi bien dans le sous-groupe de population d’origine européenne que dans celui d’origine asiatique. A titre d’exemple, le SRP dérivé du GWAS « myopie forte versus emmétropie » était comme attendu prédictif de myopie forte (versus emmétropie), mais il était aussi retrouvé comme associé à la myopie faible (versus emmétropie), et même à l’hypermétropie (versus emmétropie) ou à la myopie faible versus hypermétropie. Et tout cela aussi bien chez les patients d’origine européenne ou asiatique.

En d’autres termes, les variants génétiques à risque étaient partagés entre myopie forte, myopie faible et hypermétrope, et étaient communs aux patients asiatiques et européens. Ces données suggèrent qu’une série commune de marqueurs génétiques est responsable du risque polygénique de la myopie faible, de la myopie forte et de l’hypermétropie, mais sans déterminisme clair entre ces options, chez les patients d’origine européenne ou asiatique.

Nous serions bien en peine de commenter, a fortiori de critiquer, la méthodologie statistique ayant permis ces conclusions surprenantes. Les auteurs ont bien pris la peine de signaler les limites de certains de leurs échantillons quant à leur taille (les analyses statistiques du GWAS sont très exigeantes en effectif), ainsi que l’absence de discrimination entre les patients d’origine asiatique de l’Est ou du Sud-Est (qui ne sont habituellement pas analysés comme un groupe homogène). Enfin leur analyse a considéré les variants des SRP comme ayant un effet additif, ce qui n’est pas forcément une obligation car il existe des interactions épistatiques (des gènes entre eux) qui peuvent se compenser, et elle n’a pas non plus pris en compte les interactions du génome avec l’environnement. La prochaine étape consistera bien sûr à identifier et comprendre les voies physiopathologiques associées à ces polymorphismes - un challenge ardu, et dont l’absence complète dans cette étude surprenante laisse le lecteur sur sa faim.

Dans tous les cas, cette étude, dont les résultats seront certainement contrôlés sur d’autres grandes cohortes de ce type, ouvre d’importantes perspectives pour la compréhension et le traitement des amétropies, dont la myopie, un des enjeux de santé majeur de notre époque.

 

1) http://campus.cerimes.fr/genetique-medicale/enseignement/genetique_5/site/html/7_2.html

 

Tideman JWL, Pärssinen O, Haarman AEG, Khawaja AP, Wedenoja J, Williams KM, Biino G, Ding X, Kähönen M, Lehtimäki T, Raitakari OT, Cheng CY, Jonas JB, Young TL, Bailey-Wilson JE, Rahi J, Williams C, He M, Mackey DA, Guggenheim JA; UK Biobank Eye and Vision Consortium and the Consortium for Refractive Error and Myopia (CREAM Consortium). Evaluation of shared genetic susceptibility to high and low myopia and hyperopia. JAMA Ophthalmol. 2021 Jun 1;139(6):601-609. 

 

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : génétique