Dépister facilement un angle étroit : un classique revisité avec élégance et pragmatisme

 

Le dépistage d’un angle irido-cornéen (AIC) étroit fait partie des temps essentiels de l’examen ophtalmologique. Pour autant, les outils à la disposition du clinicien sont soit très efficaces, mais difficiles à envisager dans le cadre d’un simple dépistage, soit peu efficaces. Idéalement, la méthode de référence pour évaluer un angle irido-cornéen est la gonioscopie, si possible dynamique, mais elle nécessite un apprentissage certain pour être fiable et le temps nécessaire pour la pratiquer n’est pas négligeable dans le cadre d’une consultation de dépistage. Les techniques d’imagerie, en échographie UBM ou en OCT de segment antérieur sont, elles aussi, très fiables, mais elles requièrent l’achat de machines coûteuses, et ces méthodes ne sont pas destinées au dépistage, il n’est donc bien évidemment pas question de les utiliser pour chaque nouveau patient. En pratique, le dépistage d’un AIC étroit repose donc sur l’anamnèse et la méthode de Van Herick, qui a justement été développée pour tester un nombre maximal de patients sans temps supplémentaire d’examen, ou presque. Le principe repose sur le réglage de la lampe à fente sur une intensité maximale et une orientation verticale, puis le rapprochement de cette fente de l’extérieur vers l’intérieur, c’est-à-dire depuis la conjonctive bulbaire temporale ou nasale vers la pupille. Dès que la fente dépasse le limbe, la lumière illumine l’iris et il est alors possible d’avoir une idée semi-quantitative du caractère ouvert ou fermé de l’angle irido-cornéen grâce à l’estimation de l’épaisseur de l’espace optiquement vide entre la cornée et l’iris. Si cette technique paraît simple en première approche, elle est en réalité difficile à standardiser, et de nombreux éléments peuvent modifier l’estimation de l’angle irido-cornéen : largeur de la fente et degré d’obliquité par rapport à l’axe d’observation, qui toutes deux modifient l’épaisseur apparente de la chambre antérieure, réactivité du sphincter pupillaire au degré d’éclairage, etc.

Sihota et al. (New Delhi, Inde) proposent dans un numéro récent du British Journal of Ophthalmology une nouvelle technique d’estimation de l’angle irido-cornéen sans avoir recours à du matériel autre qu’une simple lampe à fente. Dans cette méthode empirique, qu’ils ont nommé « Van Herick plus », la fente doit être réglée en position verticale, la plus fine et la plus lumineuse possible, mais limitée à 3mm de hauteur et décalée de 30° en dehors de l’axe d'observation du biomicroscope. Après avoir réglé le grossissement de l'objectif à 40×, le faisceau lumineux doit être placé à cheval sur le limbe inférieur, à 6 heures, de manière à ce qu’une moitié (1,5 mm) éclaire la sclérotique et l’autre moitié, la partie inférieure de l’iris, sans pour autant atteindre la pupille, afin d’éviter toute constriction pupillaire. Dans ces conditions, il est possible d’évaluer deux données anatomiques ; d’une part le rapport entre l’espace d’humeur aqueuse en avant de l’iris et l’épaisseur de la cornée objectivée par la fente lumineuse (rapport HA/C), à la manière de ce qu’on a l’habitude d’estimer avec la méthode de Van Herick classique, et d’autre part l’angle entre l'endothélium cornéen et la surface de l'iris. On comprend que l’hypothèse des auteurs était que cet angle est en réalité très proche de l’angle irido-cornéen, tel que défini habituellement.

Sihota et al. ont effectivement comparé l’angle observé dans ces conditions avec celles obtenues à l’aide d’un OCT de segment antérieur (Visante). Les résultats étaient en fait très convaincants sur la série de 78 yeux de 78 sujets, dont 36 femmes (âge moyen de 55,6 ± 8,7 ans). Il existait bien une forte corrélation (r = 0,918; p <0,001) entre l’AIC tel que mesuré avec la méthode empirique « Van Herick plus » ou avec une OCT Visante, la différence moyenne n’étant que de 0,8° (intervalle de confiance à 95% de −5,767° à 7,361°). On peut donc conclure de ces résultats que l’angle observé avec la méthode de « Van Herick plus » est fortement prédictif de l’AIC réel (tel que mesuré en OCT de segment antérieur).

L’autre donnée anatomique, le rapport HA/C, n’était pas moins intéressante : en considérant la valeur de 0,25 comme seuil de suspicion d’angle-irido-cornéen étroit (c’est-à-dire un espace d’humeur aqueuse de moins d’un quart de l’épaisseur de la cornée, sur le méridien de 6 heures), la sensibilité pour détecter réellement un AIC étroit (prouvé par OCT de segment antérieur) était de 85,2% et la spécificité de 88,2%. Ces résultats sont globalement meilleurs que ceux décrits dans la littérature avec la méthode de Van Herick dans sa version classique (et pour laquelle le rapport HA/C est considéré comme à risque quand inférieur à 25%).

Trois remarques peuvent être apportées à propos de cette étude : le nombre d’yeux inclus était relativement modeste (mais il a déjà permis d’obtenir des valeurs statistiquement significatives), l’examen de référence était l’OCT de segment antérieur (une gonioscopie, clinique ou même automatisée, aurait pu apporter d’autres éléments de comparaison) et le meilleur site pour observer les deux marqueurs (AIC et rapport HA/C) n’est peut-être pas le méridien de 6 heures, car plusieurs études ont montré qu’il ne s’agit pas, statistiquement, du site où l’AIC est le plus étroit chez la plupart des patients.

Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une méthode élégante, comme ses inventeurs d’ailleurs, qui ont nommé leur technique « Van Herick plus » plutôt que de proposer leur propre patronyme. Elle n’est pas plus complexe à mettre en œuvre, ni plus longue à réaliser que le test de Van Herick habituel, et les résultats de cette première étude augure d’un bel avenir à son développement au cabinet, dans la pratique quotidienne.

 

Sihota R, Kamble N, Sharma AK, Bhari A, Gupta A, Midha N, Selvan H, Dada T, Gupta V, Pandey RM: ‘Van Herick Plus’: a modified grading scheme for the assessment of peripheral anterior chamber depth and angle. Br J Ophthalmol 2019;103:960–965

 

Reviewer : Marc Labetoulle, thématique : glaucome