Un dispositif de relargage du ranibizumab pour réduire le nombre d’injection

Parmi les stratégies mises en œuvre pour réduire le nombre d’injection intravitréenne (IVT) d’anti-VEGF dans la DMLA exsudative, le dispositif à l’étude dans l’article de Campochiaro et al. est sans doute le plus audacieux. Il s‘agit littéralement d’un réservoir, muni d’un système de diffusion assurant un relargage contrôlé, et pouvant être rempli par injection au travers d’un opercule muni d’un septum destiné à cet effet.

Le dispositif (dénommé « port delivery system », et développé par Genentech) est inséré dans le vitré via une incision sclérale à 4 mm du limbe (assortie d’une photocoagulation ab externo au laser de la pars plana exposée pendant la chirurgie), et maintenu grâce à une collerette à plat sur la sclère. Une fois en place, la conjonctive et la capsule de Tenon sont suturées pour le recouvrir complètement, et le dispositif est rempli avec 0,1ml de ranibizumab. Pour mieux comprendre la procédure chirurgicale, le positionnement et le design de l’implant, nous invitons nos lecteurs à se rendre sur : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0161642018333281, où les figures et les vidéos associées à l’article sont en libre accès.

Campochiaro et al. relatent ici les résultats intermédiaires, à 9 mois de l’inclusion du dernier patient de l’essai de phase 2 évaluant l’efficacité et la sécurité de cet implant.

Les patients inclus devaient avoir une DMLA néovasculaire diagnostiquée au maximum 9 mois avant l’inclusion, et avoir répondu cliniquement à 2 à 9 IVT d’anti-VEGF.

Ils étaient randomisés en 4 groupes : 3 traités avec des implants remplis avec des concentrations (donc des doses) croissantes de ranibizumab (10, 40 et 100mg/ml) et 1 traité par IVT mensuelle de ranibizumab.

Les patients étaient suivis mensuellement sur l’acuité visuelle et l’OCT. Dans les 3 groupes implantés, les patients et les évaluateurs étaient masqués pour la dose. Les critères pour un nouveau remplissage (« ravitaillement ») au cours de l’étude étaient les suivants : i) augmentation de plus de 75 mm de l’épaisseur fovéale par rapport à la moyenne des 2 mesures précédentes, ii) augmentation de plus de 100 mm par rapport à l’épaisseur la plus fine mesurée auparavant pendant l’étude, iii) baisse d’acuité visuelle (AV) de plus de 5 lettres par rapport à la moyenne des 2 précédentes, iv) baisse d’AV de plus  de 10 lettres par rapport à la meilleure acuité mesurée au cours de l’étude et v) apparition d’une hémorragie maculaire. Parmi les premiers patients implantés, 8 ont été explantés en raison d’une inefficacité clinique malgré les ravitaillements, ce qui a fait craindre aux investigateurs une obstruction du système de diffusion. Toutefois, l’analyse ex vivo des dispositifs explantés n’ayant retrouvé aucun dysfonctionnement, le protocole de l’étude a été amendé, et plutôt que de retirer l’implant en cas d’absence de réponse au traitement par implant, les investigateurs pouvaient recourir à des IVT de « sauvetage ».

Le critère de jugement principal de l’étude était le délai avant le premier ravitaillement de l’implant. La variation d’AV à 9 mois, la variation d’épaisseur fovéale à 9 mois et les effets secondaires étaient également recueillis et comparés.

Au total, les données de 220 patients étaient analysées (58, 62, 59, et 41 dans les groupes 10mg/ml, 40 mg/ml, 100mg/ml, et IVT mensuelles, respectivement). Les délais médians avant remplissage étaient de 8, 13 et 15 mois, respectivement. A 9 mois, la proportion de patients ayant nécessité un ravitaillement était de 64%, 47% et 46% dans les groupes 10mg/ml, 40 mg/ml, 100mg/ml, respectivement, avec un nombre moyen de ravitaillement ou d’IVT de sauvetage de 3,7 ; 2,6 et 2,4, respectivement. 

A 9 mois, la variation moyenne d’AV était de -3,2 ; -0,5 ; +5 et + 3,9 lettres.  Les variations d’épaisseur fovéale était comparable dans le groupe implant à 100 et dans le groupe IVT mensuelle.

Parmi les patients implantés, il y avait 7 hémorragies intravitréennes, le plus souvent résolutives à 1 mois, 3 endophtalmies (1 dans chaque groupe), mais dont les prélèvements microbiologiques étaient négatifs et qui se résolvaient avec retour à l’AV initiale, et 4 décollements de rétine, soit au total près de 8% d’effets indésirables oculaires sérieux.

La place de cette innovation, bien qu’indéniablement avantageuse sur le nombre d’IVT, pose question. Les inquiétudes suscitées par la mise en place d’un tel dispositif au bord de la rétine, et de surcroit communiquant avec l’espace sous-conjonctival, sont légitimes, et semblent confirmées par l’incidence d’effets indésirables sérieux, largement supérieure à celle des IVT. En outre, il faudra voir comment évolue ce profil de sécurité sur la durée, avec les ravitaillements itératifs, et les modifications éventuelles de la conjonctive recouvrant l’implant avec le temps…Enfin, sur un plan pharmacologique, le relargage continu pourrait modifier la cinétique des récepteurs, exposant au risque de tachyphylaxie, voire favoriser la synthèse d’anticorps anti-ranibizumab, parfois problématiques avec les injections itératives d’anti-VEGF. Pour résumer, l’arrivée (un jour) de cet implant dans l’arsenal thérapeutique anti-DMLA semble encore incertaine, sur la base de ces premières données. Le concept a toutefois l’avantage de pouvoir être appliqué au traitement d’autres pathologies chroniques.

Campochiaro PA, Marcus DM, Awh CC, Regillo C, Adamis AP, Bantseev V, Chiang Y,Ehrlich JS, Erickson S, Hanley WD, Horvath J, Maass KF, Singh N, Tang F, Barteselli G. The Port Delivery System with ranibizumab for neovascular age-related macular degeneration: results from the randomized phase 2 ladder clinical trial. Ophthalmology. 2019 Aug;126(8):1141-1154.

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : rétine médicale