Quand le glaucome progresse alors que la pression est franchement basse…

Les patients dont le glaucome progresse malgré une pression intra-oculaire (PIO) non seulement dans la norme, mais de surcroit basse (<15mmHg) sont souvent source de difficultés pour les décisions thérapeutiques. Nos collègues japonais ont souvent à faire face à cette situation. En effet, les PIO moyennes (sans traitement) des glaucomateux, retrouvées dans des études épidémiologiques d’envergure menées au pays du soleil levant, se situent autour de 15mmHg, avec plus de 90% de patients avec une PIO < 21mmHg. Sur cette population, l’hypertonie oculaire (définie par une PIO > 21mmHg) ne constitue pas vraiment un facteur de risque de progression.

Devant ce constat, Sakata et al. ont voulu définir les facteurs de risque de progression chez les patients atteints de glaucome à angle ouvert et avec une PIO sans traitement < 15 mmHg (vérifiée à plusieurs reprises).

Pour cela, les auteurs de cette étude observationnelle multicentrique fixaient des critères d’inclusion et d’exclusion extrêmement stricts. Les patients, âgés de 20 à 70 ans, devaient n’avoir aucune comorbidité oculaire, ne pas être atteints de diabète ou d’hypertension, et ne prendre aucun traitement systémique pouvant influencer la PIO. Par ailleurs, les erreurs de réfraction majeures, les pathologies neurologiques centrales, les anomalies papillaires pouvant perturber l’interprétation des champs visuels (CV) ou des rétinophotos (notamment dysversion ou atrophie péripapillaire majeure) étaient exclus. Enfin, le diagnostic de glaucome chronique à angle ouvert était posé sur une analyse combinée du champ visuel et des papilles selon les recommandations les plus exigeantes.

Les patients inclus étaient suivis pendant 5 ans, avec évaluation de la PIO et du CV tous les 3 mois, et rétinophotos tous les 6 mois, ces dernières étant analysées par 3 examinateurs indépendants. La progression était définie sur le CV et/ou l’aspect du nerf optique. Concernant le CV, elle était jugée à l’aide du logiciel « Guided Progression Analysis » du Humphrey (Zeiss). Quant à la papille, les items évalués comportaient l’augmentation éventuelle du rapport c/d vertical (mesurée avec un logiciel d’analyse d’image), l’apparition de zones d’amincissement de l’anneau neuro-rétinien, l’extension de déficits en fibre sur les rétinophotos. Les hémorragies papillaires étaient bien sûr comptabilisées. Un traitement hypotonisant était initié en cas de progression avérée.

Au total, les données de 76 patients ayant fini l’étude (un œil par patient était inclus) ont été analysées.

Commençons par quelques données résumant la population inclue : un âge moyen de 54±10 ans, une PIO moyenne à l’inclusion de 12,3mmHg, une pachymétrie de 537±26mm, une déviation moyenne de -2,8db et un équivalent sphérique moyen de -3,5D.

Les auteurs comparaient d’abord les données relevées chez les progresseurs (N=52, 69%) et les non-progresseurs (N=24, 31%), puis réalisaient une régression logistique évaluant le risque relatif de progression associé à chaque donnée recueillie.

La comparaison des 2 groupes ne mettait en évidence que 2 paramètres statistiquement différents chez les progresseurs et les non-progresseurs : le nombre de patients ayant présenté une hémorragie péripapillaire (24 vs 2, respectivement) et l’équivalent sphérique (-3D vs -4,7D, respectivement).

La régression logistique retrouvait quant à elle 3 facteurs de risque significatifs : les fluctuations de la PIO (définies comme l’écart-type des variations entre les mesures lors du suivi, RR = 2,9), le c/d à l’inclusion (RR = 2), l’occurrence d’une hémorragie péripapillaire au cours du suivi (RR=2,8).

Ces résultats confirment d’une part qu’une progression est possible malgré des PIO vraiment basses, et d’autre part la valeur sémiologique des hémorragies papillaires. Par ailleurs, même s’ils suggèrent l’implication d’autres facteurs physiopathologiques que la PIO, le rôle des fluctuations confirme indirectement la nécessité de traiter ces patients. En effet, si la marge de manœuvre sur la PIO est parfois serrée, on sait que les traitements hypotonisants (médicaux ou chirurgicaux) réduisent les fluctuations. On peut discuter de l’applicabilité de ses résultats obtenus chez une population assez homogène sur le plan ethnique, et globalement myope, aux patients français, et regretter l’absence de données OCT. Toutefois, ces résultats solides apportent des informations importantes pour la prise en charge des GCAO à pression basse.

Sakata R, Yoshitomi T, Iwase A, Matsumoto C, Higashide T, Shirakashi M, Aihara M, Sugiyama K, Araie M; Lower Normal Pressure Glaucoma Study Members in Japan Glaucoma Society. Factors Associated with Progression of Japanese Open-Angle Glaucoma with Lower Normal Intraocular Pressure. Ophthalmology. 2019 Aug;126(8):1107-1116.

Reviewer : Antoine Rousseau, thématique : glaucome