Revue de la presse de Novembre 2023

Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :  Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Ophthalmology Retina, Retina, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 


Mitomycine C dans les dacryocystorhinostomies : l’AAO fait le point ! 

 

La dacryocystorhinostomie (DCR) est le traitement chirurgical de référence de l’obstruction primitive du canal lacrymo-nasal. Elle peut être réalisée par voie externe, par voie endonasale ou par voie trans-canaliculaire assistée par laser diode. L’intervention repose sur la réalisation d’une fistule lacrymo-nasale visant à rétablir la perméabilité des voies d’évacuation des larmes en excluant la zone d’obstruction du canal lacrymo-nasal. La principale cause d’échec des DCR est la fibrose de la fistule. Afin de prévenir cette complication, certains chirurgiens utilisent l’application d’un agent antimitotique, la mitomycine C (MMC), utilisée par ailleurs pour ses propriétés anti-cicatrisantes dans les chirurgies filtrantes du glaucome et certaines procédures photo-ablatives cornéennes. Son action repose principalement sur l’inhibition de la prolifération des fibroblastes et de la synthèse du collagène (1).

Dans un rapport publié dans l’édition de novembre d’Ophthalmology, un groupe d’experts de l’American Academy of Ophthalmology présente une revue de la littérature sur l’évaluation de l’efficacité et de la sécurité de l’application per-opératoire de MMC au cours des DCR pour le traitement de l’obstruction primitive du canal lacrymo-nasal. La recherche bibliographique a été réalisée en utilisant le moteur de recherche Pubmed. Seules les études contrôlées incluant au moins 10 patients traités par DCR avec application de MMC, suivis au moins 6 mois, ont été analysées. Vingt-quatre études ont ainsi été sélectionnées. Au total, 750 DCR avec application de MMC (versus 692 DCR sans) ont été analysées, dont 303 par voie externe, 238 par voie endonasale, 138 par voie trans-canaliculaire assistée au laser diode et 71 révisions de DCR par voie endonasale. La concentration de MMC utilisée variait de 0,05 à 1 mg/ml. L’application était réalisée à l’aide de cotons imbibés appliqués sur la paroi de l’ostium osseux de la fistule, avec des temps d’application per-opératoire très variables (2,5 à 30 minutes) et divers protocoles de rinçage. Les critères de succès chirurgicaux et leur délai d’évaluation variaient aussi selon les études : absence de larmoiement, perméabilité des voies lacrymales, combinaison de ces deux critères, et taille de l’ostium mesurée par voie endoscopique. La durée du suivi post-opératoire variait de 6 à 35 mois. 

Dans le cadre des DCR par voie externe, l’application de MMC paraissait augmenter les performances des chirurgies, uniquement en cas d’application prolongée (30 minutes) de MMC 0,2mg/mL. En fait, les trois seules études utilisant ce type d’abord et ayant mis en évidence des résultats supérieurs avec la MMC avaient appliqué ce protocole, tandis que les durées d’application moins importantes ne montraient pas de différence par rapport à l’absence totale d’utilisation de la MMC. 

Pour les DCR endo-nasales, l'application peropératoire de MMC n'a amélioré les résultats anatomiques et fonctionnels que dans une étude sur neuf, mais toutes avaient utilisé des durées d’application courtes (inférieures à 5 minutes). 
Pour reprises de DCR par voie endoscopique, deux des trois études rapportent des succès plus importants dans le groupe MMC, avec application d’une solution concentrée à 0,4 et 0,5 mg/mL pendant 5 minutes. 

Enfin, pour les DCR trans-canaliculaires assistées par laser diode, aucune amélioration des résultats anatomiques et fonctionnels n'a été démontrée dans les 3 séries avec MMC (0,2 à 0,5 mg/mL) appliquée pendant 3 à 5 minutes.  

Sur un total de 750 DCR avec application de MMC, une seule complication imputable à l’application de MMC a été rapportée : un retard de cicatrisation de l’incision cutanée chez un patient ayant bénéficié d’une DCR par voie externe avec l’application de MMC 0,2mg/mL pendant 30 minutes. Le profil de sécurité de l’application de la MMC en traitement adjuvant des DCR parait donc très rassurant à court et moyen terme, même pour des concentrations et surtout des durées très prolongées (respectivement jusqu’à 1mg/mL et 30 minutes).
Il semblerait donc que des concentrations de MMC comprises entre 0,2 et 0,5mg/mL soient efficaces en traitement adjuvant de la DCR, en particulier par voie externe, et qu’une durée d’application prolongée de la MMC soit un facteur déterminant de son efficacité. Des essais cliniques de plus grande envergure et plus prolongés sont toutefois nécessaires afin d’une part, de standardiser les concentrations et les durées d’application de la MMC en traitement adjuvant de la DCR, et d’autre part, de garantir la sécurité de son application à plus long terme. 
 

1) Ferguson B, Gray SD, Thibeault S. Time and dose effects of mitomycin C on extracellular matrix fibroblasts and proteins. Laryngoscope. 2005 Jan;115(1):110-5.
Freitag SK, Aakalu VK, Foster JA, McCulley TJ, Tao JP, Vagefi MR, Yen MT, Kim SJ, Wladis EJ. Use of mitomycin c in dacryocystorhinostomy: a report by the American Academy of Ophthalmology. Ophthalmology. 2023 Nov;130(11):1212-1220.

Reviewer : Paul Bastelica , thématique : voies lacrymales.  


Facteurs de risque de membrane épirétinienne chez les patients glaucomateux 

L’association membrane épirétinienne (MER) - glaucome à angle ouvert n’est pas rare, ces deux pathologies (dans leurs formes primitives) étant en grande partie liées au vieillissement, et complique l’analyse des examens tomographiques et campimétriques nécessaires au diagnostic et au suivi du glaucome. Par ailleurs, la survenue d’une MER peut fortement impacter la fonction visuelle des patients atteints de formes avancées de glaucome, qui dépend beaucoup de leur vision maculaire. Afin de mieux comprendre cette association, l’édition d’octobre de l’American Journal of Ophthalmology rapporte une étude explorant les facteurs de risque de développement d’une MER chez les patients glaucomateux. 

Pour cela, Shin et al. se sont appuyés sur une cohorte prospective de patients glaucomateux suivis depuis 2009 dans le cadre de l’étude CMC-GPS (Catholic Medical Center Glaucoma Progression Study). Ils ont sélectionné les patients de cette cohorte ayant développé une MER et les ont comparés à un groupe contrôle de patients glaucomateux indemnes de MER, appariés pour l’âge ainsi que pour la déviation moyenne et l’index de fonction visuelle (MD et VFI) mesurées sur le champ visuel (CV) Humphrey. Un seul œil était inclus par patient. Les données socio-démographiques et cliniques des patients ont été recueillies rétrospectivement. Au total, 64 patients présentant une MER et 128 patients contrôles ont été inclus. Comparativement aux témoins glaucomateux indemnes de MER, les patients atteints de MER présentaient plus fréquemment une hypertension artérielle, de grandes fluctuations de la PIO (définies par un écart-type de la PIO moyenne supérieur à l'écart-type moyen des participants à l'étude), des hémorragies du disque optique, et une progression du CV central. Dans l’analyse multivariée réalisée sur la population glaucomateuse entière, la présence d’une MER était associée à ces mêmes facteurs, mais également à l’âge. 

Le développement des MER semblait donc être associé à l’âge, à la présence d’une hypertension artérielle, mais également à certains éléments témoignant de la progression de la maladie glaucomateuse comme les fluctuations pressionnelles, les hémorragies du disque optique, et la progression du CV central. Les auteurs ont émis l’hypothèse d’un développement de MER lié, dans ce contexte glaucomateux, au comblement par du tissu fibroglial des espaces laissés vides par la perte des axones des cellules ganglionnaires rétiniennes. 

Parallèlement, le développement d’une MER pourrait lui-même contribuer à la progression du CV central en altérant directement la sensibilité centrale, indépendamment de la progression de la neuropathie optique. Par ailleurs, l’association statistique du développement d’une MER avec les fluctuations pressionnelles posait en soi des questions très intéressantes sur le mécanisme sous-jacent, mais les auteurs ne précisaient pas la forme clinique des glaucomes et ne proposaient pas d’analyse particulière à ce propos. Or, le glaucome exfoliatif, responsable d’importantes fluctuations pressionnelles, est plus fréquemment associé aux MER que le glaucome primitif à angle ouvert 1, sans que la responsabilité des dépôts exfoliatifs dans la physiopathologie du développement de la MER ne puisse être écartée. 

Cette étude fournit donc des pistes très intéressantes, mais d’autres analyses semblent encore nécessaires pour éclaircir les interactions entre progression du glaucome et développement de MER : à suivre !
 

1) Lee, Jin Yeong MD; Sung, Kyung Rim MD, PhD; Kim, Yoon Jeon MD, PhD. Comparison of the Prevalence and Clinical Characteristics of Epiretinal Membrane in Pseudoexfoliation and Primary Open-angle Glaucoma. Journal of Glaucoma 30(9):p 859-865, September 2021

Shin DY, Park HL, Shin H, Oh SE, Kim SA, Jung Y, Lee MY, Park CK. Fluctuation of Intraocular Pressure and Vascular Factors Are Associated With the Development of Epiretinal Membrane in Glaucoma. Am J Ophthalmol. 2023 Oct;254:69-79.
 

Reviewer : Paul Bastelica , thématique : Rétine, glaucome
 


Détection des hémorragies du disque optique : Intelligence artificielle versus expertise humaine !  

 

Le suivi de la neuropathie optique glaucomateuse repose en premier lieu sur l’examen clinique de la papille en ophtalmoscopie indirecte. Souvent négligée depuis la montée en puissance des imageries OCT, l’analyse de la papille optique est un examen difficile qui nécessite l’expérience du clinicien. Il permet en effet d’apprécier le niveau de détérioration de l’anneau neuro-rétinien mais aussi de détecter les hémorragies du disque optique, qui constituent un facteur de risque indépendant de progression de la maladie. La visualisation de ces hémorragies n’est pas toujours aisée, raison pour laquelle de nombreux experts recommandent la réalisation de photographies de la papille optique de façon systématique pour l’analyse structurelle dans le suivi du glaucome. 
L’intelligence artificielle (AI) fait aujourd’hui l’objet d’un intérêt croissant en ophtalmologie, et nous vous proposons dans cette revue de presse de décrire les résultats d’un article publié dans l’American Journal of Ophthalmology, analysant les performances d’un logiciel de deep learning développé pour la détection automatisée des hémorragies du disque sur des photographies de la papille optique. 

L’algorithme utilisé dans cette étude a été entrainé avec 1340 photographies d’hémorragie du disque, certifiées par trois experts et définies comme la présence de sang extravasculaire à moins de 100 μm du bord du disque optique. Pour l’évaluation du logiciel, 165 photographies ont été présentées au modèle et à deux cliniciens experts (106 images sans 59 images avec hémorragies). Les performances du logiciel ont été comparées à celles d’un modèle de prédiction idéal (spécificité de l’expert 1 et sensibilité d’un algorithme validé pour la détection de la rétinopathie diabétique) et à celles de deux experts cliniciens (expert 1 et expert 2, en théorie très spécifiques mais moins sensibles). Les auteurs ont utilisé la courbe ROC, outil habituel dans ce type d’analyse, qui lie sensibilité et spécificité pour chacune des valeurs seuils théoriques. L’aire sous la courbe obtenue avec l’algorithme était de 0,936 (intervalle de confiance= 0,857-0,964) pour toutes les images retenues. Pour obtenir une haute spécificité (celle de l’expert 1, soit 94%), la sensibilité du modèle était de 70% (intervalle de confiance = 56,8-81,2 %), soit une valeur comparable à celle de l’expert 1 (75% ; intervalle de confiance = 62,1 %- 85,3 % ; p = 0,70). À un niveau de spécificité encore plus élevé (celle du deuxième expert, mesurée à 99%), la sensibilité du modèle était encore une fois comparable à celle du deuxième expert (respectivement 35% versus 46,7% ; p = 0,14). Enfin, lorsque la spécificité du modèle était fixée pour un fonctionnement à haute sensibilité (spécificité de l’algorithme validé pour la détection de la rétinopathie diabétique à 73,3%), la sensibilité de l’algorithme évalué était mesurée à 96,7 % (intervalle de confiance = 88,5 %-99,6 %).

Ces résultats démontrent que les performances de ce logiciel d’AI pour la détection des hémorragies du disque optique rivalisent avec celles de l’appréciation clinique de deux experts, mais ne les dépassent pas. L’apport en pratique clinique d’une telle technologie reste toutefois à discuter, tant les performances de ce modèle sont proches de celles des cliniciens. Ce travail a le mérite d’ouvrir la voie pour le développement d’aides au diagnostic photographique, en permettant vraisemblablement de fournir des rapports d’analyse automatisée, comme cela existe déjà pour l’analyse de progression en OCT ou en champ visuel. Par ailleurs, de tels outils diagnostiques pourraient, sous supervision d’un expert ophtalmologiste, permettre le dépistage et le suivi automatisé de la neuropathie optique glaucomateuse à grande échelle, notamment au sein des déserts médicaux. 

Brown A, Cousins H, Cousins C, Esquenazi K, Elze T, Harris A, Filipowicz A, Barna L, Yonwook K, Vinod K, Chadha N, Altman RB, Coote M, Pasquale LR. Deep learning for localized detection of optic disc hemorrhages. Am J Ophthalmol. 2023 Nov;255:161-169.
 

Reviewer: Paul Bastelica , thématique : glaucome, intelligence artificielle  


Le cauchemar de chirurgien de la chirurgie de cataracte bilatérale séquentielle immédiate : l’endophtalmie bilatérale en série. 

 

La chirurgie de cataracte bilatérale immédiatement séquentielle (CCBIS) n’est pas un concept nouveau, loin de là (elle était déjà envisagée à la fin des années 701), mais son application à grande échelle semble de plus en plus réaliste à mesure que la sécurité et la reproductibilité de la phako-émulsification s’améliorent. Dans les pays où elle a été adoptée, notamment en Europe du Nord (Royaume-Uni, Pays Bas, pays scandinaves…), elle est le plus souvent réservée à des opérateurs expérimentés, et doit être conforme à un protocole très rigoureux mis au point par une société savante consacrée à cette pratique (International Society of Bilateral Cataract Surgeons).2 Concrètement, l’installation (asepsie, champs opératoire, gants) doit être intégralement renouvelée pour le second œil et rien de ce qui a été en contact avec le premier œil ne doit rentrer en contact avec le second ; les boites et les instruments utilisés pour les 2 yeux doivent avoir eu des cycles de stérilisation distincts, ou provenir de lots différents en ce qui concerne les instruments à usage unique. Les gels viscoélastiques utilisés pour le premier œil ne doivent idéalement pas provenir du même fournisseur que ceux utilisés pour le second ; l’implant utilisé pour le second œil ne doit pas provenir du même lot que celui utilisé pour le premier. Par ailleurs, toute modification de procédure ou de matériel doit être validé par l’ensemble de l’équipe chirurgicale, après une analyse rigoureuse des aspects sécuritaires.2 Enfin, de manière évidente, tout incident opératoire lors de la chirurgie du premier œil doit entrainer l’annulation du second. Concernant les éventuels ajustements réfractifs entre les 2 yeux, plusieurs études ont montré qu’ils n’étaient pas cliniquement significatifs, à condition que l’opérateur ait une bonne expérience de son calculateur d’implant et de l’optimisation des formules en fonction de la réfraction et des attentes du patient. 

La CCBIS présente l’avantage de limiter les déplacements du patient, mais c’est - en raison de toutes les précautions nécessaires - le seul point qui permette d’améliorer le bilan carbone de cette procédure par rapport à celui de la chirurgie bilatérale séquentielle différée (de l’ordre de 10%).  
Le pire scénario de la CCBIS - qui freine sans doute le plus son essor – est sans doute l’endophtalmie bilatérale, et c’est une série particulièrement cauchemardesque de 3 cas consécutifs opérés le même jour, que rapportent des collègues danois dans l’édition de novembre de JAMA Ophthalmology. Les 3 histoires cliniques sont assez classiques : une femme de 71 ans, un homme de 84 ans et une femme de 79 ans ont présenté des tableaux typiques d’endophtalmie bilatéral 4 à 8 jours après CCBIS, toutes les 3 réalisées à la même date, dans le même bloc opératoire. Cinq des 6 yeux atteints ont été vitrectomisés, et tous ont reçu une injection intravitréenne d'antibiotiques (ceftazidime + vancomycine). La même souche de Staphylococcus epidermidis résistant à la céfuroxime a été isolée dans 4 des 5 yeux ayant subi une vitrectomie. La contamination des viscoélastiques a été écartée par des cultures répétées. Un œil ayant évolué vers la phtyse a été éviscéré 2 mois plus tard. Chez un autre patient, l'acuité visuelle en fin de suivi (3 mois) de l'œil le plus gravement touché était de 3/10. L'acuité visuelle des autres yeux est remontée à 8/10 pour 3 yeux de 2 patients et à 10/10 sur un œil. L’enquête des services sanitaires n’a pas permis de déterminer la cause de ces infections.  

Ces 3 cas viennent s’ajouter aux 9 cas d’endophtalmie bilatérale après CCBIS rapportés au cours des 50 dernières années.3 Comme évoqué précédemment dans les colonnes de cette revue de presse4,5 cette complication dramatique est significativement plus rare après CCBIS qu’après chirurgie bilatérale séquentielle différée, vraisemblablement grâce à l’attention particulière porté au respect des précautions maximalistes encadrant le plus souvent cette procédure. Dans 6 de ces 9 cas, le respect du protocole chirurgical recommandé n’avait d’ailleurs pas été respecté. Les entorses comprenaient l'utilisation des mêmes instruments, fluides ou viscoélastiques pour les deux yeux ; l'absence d’injection intracamérulaire d’antibiotique et l'absence d'utilisation d'indicateurs de stérilité dans le cycle de l'autoclave. Les 3 autres cas comportaient un individu très âgé et en mauvais état général décédé peu de temps après la chirurgie, un patient immunodéprimé ayant reçu une antibiothérapie intracamérulaire à dose insuffisante, et un patient vraisemblablement exposé à un flux laminaire défaillant en salle d'opération.

Au total, cette série de cas, dont l’issue aurait pu être encore plus désastreuse, agit comme une piqûre de rappel sur la nécessité d’un respect très strict du protocole lors de la CCBIS, et sur le risque d’être confronté à des germes résistants à la céfuroxime en cas d’endophtalmie.6

1) Benezra D, Chirambo MC. Bilateral versus unilateral cataract extraction: advantages and complications. Br J Ophthalmol. 1978 Nov;62(11):770-3.
2) https://itgo.ca/eyefoundationcanada/wp-content/uploads/sites/5/2020/05/2010-09-01-FINAL-ISBCS-SBCS-suggestions-from-ESCRS-Barcelona.pdf
3) Chen MY, Qi SR, Arshinoff SA. Bilateral simultaneous postoperative endophthalmitis: review of cases reported over the past 50 years. J Cataract Refract Surg. 2022;48(7):850-854.
4) Fénolland JR, Sécurité de la chirurgie de la cataracte bilatérale le même jour, Revue de presse de la SFO : janvier 2022 :
5) Friling E, Johansson B, Lundström M, Montan P. Postoperative Endophthalmitis in Immediate Sequential Bilateral Cataract Surgery: A Nationwide Registry Study. Ophthalmology. 2022 Jan;129(1):26-34. 
6) Shorstein NH, Liu L, Carolan JA, Herrinton L. Endophthalmitis Prophylaxis Failures in Patients Injected With Intracameral Antibiotic During Cataract Surgery. Am J Ophthalmol. 2021 Jul;227:166-172. 

Bjerager J, Leegaard Holm DM, Holm L, Faber C, Bate A, Christakopoulos C, Solborg Bjerrum S. Outbreak of bilateral endophthalmitis after immediate sequential bilateral cataract surgery. JAMA Ophthalmol. 2023 Nov 1;141(11):1075-1078. 
 

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : cataracte, infectiologie.  


 

Que peut-on attendre de l’implant Preserflo ?

 

Le Preserflo est un dispositif de drainage sous-conjonctival de l’humeur aqueuse qui entre dans la catégorie des MIBS pour Mini-invasive Bleb Surgery. Contrairement à l’autre dispositif de cette catégorie, le drain XEN, habituellement inséré ab interno (depuis un abord cornéen de la chambre antérieure), la mise en place du Preserflo se fait par un abord externe, après incision conjonctivale limbique et application sous-ténonienne de mitomycine. Le drain, constitué de SIBS (Poly(styrène-bloc-isobutylène-bloc-styrène)) - un matériau biocompatible déjà éprouvé dans le revêtement de certains stents coronariens – mesure 8,5mm de long avec une lumière interne de 70microns. On l’insère par l’extérieur, après dissection conjonctivale, vers la chambre antérieure au travers d’un chenal réalisé à l’aide d’une aiguille 25 gauges, où il est bloqué par ses ailettes latérales glissées dans une pochette sclérale superficielle. La suture limbique étanche est réalisée en un ou 2 plans conjonctivo-ténoniens.
Le Preserflo a très récemment obtenu le remboursement (au tarif de 1117,28 euros par unité) pour « les patients atteints de glaucome primitif à angle ouvert de stade modéré à sévère, en échec d’une ou plusieurs chirurgie(s) filtrante(s) conventionnelle(s) ou présentant des risques à la réalisation d’une chirurgie filtrante ». Comme toute chirurgie filtrante est potentiellement à risque, l’interprétation de ce libellé peut être très large, et vu la relative simplicité technique de la procédure chirurgicale (quand tout se déroule comme prévu), on peut imaginer que le Preserflo suscite un certain engouement.  

C’est entre autres pour cette raison que nous avons sélectionné pour cette revue de presse une étude de l’équipe d’Ike Ahmed (Toronto) reprenant les résultats à un an de tous les Preserflo mis en place dans un centre tertiaire de prise en charge du glaucome entre 2015 et 2020. 
Le critère de jugement principal était la proportion d’yeux avec une PIO < 17mmHg (et sans hypotonie clinique : décollement choroïdien, maculopathie ou œdème papillaire), avec une baisse de plus de 20% de la PIO par rapport à la PIO initiale, le tout sans traitement hypotonisant (succès complet), ou avec (succès qualifié). Les facteurs de risque d’échec, la PIO médiane, les complications et les réinterventions étaient analysées. 
Au total, les résultats de 436 yeux étaient analysés, pour lesquels 86 (20%) interventions avaient été réalisées en combinaison avec une chirurgie de cataracte, 127 (29%) sur des glaucomes réfractaires (c’est-à-dire déjà opérés de glaucome par voie externe), et 234 (51%) en procédure isolée, sur des yeux naïfs de chirurgie. A noter que si la durée d’application de la mitomycine était identique pour tous les yeux (2 minutes), la concentration évoluait au cours de l’étude, passant initialement de 0,2mg/mL pour 96 yeux (22%), à 0,4mg/mL pour 210 yeux (48%) et enfin à 0,5mg/mL pour les 130 derniers yeux (30%) inclus. La gestion de la fibrose post-opératoire était assez agressive : le traitement postopératoire reposait sur une association antibio-corticoïde prescrite toutes les 2 heures pendant 1 semaine, avec une décroissance progressive sur 6 à 10 semaines ; les needlings étaient réalisés d’emblée avec injection de mitomycine 0,4 ou 0,5mg/mL, et accompagnés d’une injection sous-conjonctivale de viscoélastique. Les mêmes concentrations de mitomycine étaient utilisées lors des révisions chirurgicales. Parmi les yeux inclus, 96 (22%) étaient atteints de glaucome débutant, 85 (19%) de glaucome modéré, et 257 (59%) de glaucome sévère
Le succès complet était atteint pour 75% de ces derniers, 64% des yeux opérés en combiné, et 58% des glaucomes réfractaires. Le succès qualifié était atteint pour 92, 91 et 85% de ces yeux, respectivement. A 12 mois, 67% des yeux opérés n’avaient plus de traitement anti-glaucomateux. 
Les situations à risque d’échec identifiées dans cette étude étaient : 
- les procédures combinées sur des glaucomes réfractaires (risque relatif de 3,2 avec intervalle de confiance entre 1,4 et 7,4), 
- une concentration de mitomycine appliquée < 0,4mg/mL (RR = 2,2 ; IC : 1,6-3,1)
- la chirurgie sur des glaucomes réfractaires (RR = 1,7 ; IC : 1,2-2,5)
- les interventions sur glaucome réfractaire dans leur ensemble (RR = 1,6 ; IC : 1,0-2,5)
- le nombre de traitements anti-glaucomateux préopératoires (par traitement : RR = 1,3 ; IC : 1,1-1,5). 
Des complications sont survenues sur 31% des yeux, et étaient plus fréquentes sur les yeux où avaient été appliquée de la mitomycine 0,4mg/mL (risque relatif de 2,2 avec intervalle de confiance entre 1,2-3,8). Les plus fréquentes étaient la survenue d’un décollement choroïdien (9%), d’une hypothalamie (7%), ou d’un hyphéma (7%). Une exposition du tube est survenue sur un œil opéré en combiné. Un œil a perdu toute fonction visuelle dans les suites de la chirurgie et un autre a développé un œdème de cornée. Des interventions post-opératoires ont été pratiquées sur 19% des yeux. Elles comprenaient principalement des needlings (12%), et des reformations de chambre antérieure avec du viscoélastique (7%). La fréquence des needlings était significativement plus importante sur les glaucomes réfractaires (23%) et sur les procédures combinées (13%), comparativement aux procédures isolées (7%). Des révisions de bulles ont été pratiquées sur 4% des yeux opérés au cours de cette première année de suivi, après un délai médian de 7,5 mois. 

Les principaux intérêts de cette étude rétrospective sont le nombre de procédures, et la variété des contextes dans lesquels elles ont été réalisées. Cette étude de vraie vie donne un aperçu du potentiel du Preserflo, mais il faut garder en tête 1) l’expertise de l’équipe dont cette étude émane, notamment en matière de gestion postopératoire, et 2) la relativement faible durée de suivi. Le taux de complication (1 malade sur 3) et la fréquence des réinterventions (18%) rappelle que cette chirurgie, bien qu’apparemment facile à réaliser, est une chirurgie filtrante à part entière, réservée aux ophtalmologistes rompus à la chirurgie du glaucome. 
 

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : glaucome


 

Atteinte du segment antérieur dans le lymphome vitréo-rétinien primitif : apport de la microscopie confocale

 

Le lymphome vitréo-rétinien primitif, pathologie rare et sévère, est souvent évoqué devant une uvéite intermédiaire ou postérieure. Ce syndrome « mascarade », qui ressemble à une uvéite, se manifeste classiquement par une réaction cellulaire vitréenne et des infiltrats rétiniens.1 Si les atteintes du segment postérieur et leur imagerie multimodale ont été amplement décrites,2 celles du segment antérieur sont plus rares et moins connues. Dans certains cas, notamment les formes évoluées, une atteinte du segment antérieur peut apparaître, avec souvent des précipités rétro cornéens.

Dans cet article, des auteurs italiens et nord-américains ont analysé ces signes sémiologiques fins en imagerie par microscopie confocale, et ont étudié leur lien éventuel avec la sévérité de la maladie.

108 yeux de 55 patients, diagnostiqués entre 2015 et 2022 dans deux centres de référence à Milan et Chicago ont été inclus de façon rétrospective. Une atteinte du segment antérieur était aussi notée dans 55 yeux (51%), consistant en un Tyndall cellulaire antérieur dans 51 yeux sur 55 (93%) et des précipités rétro-cornéens dans 50 yeux sur 55 (91%). Ces précipités étaient achromes dans 86% des yeux, et pigmentés dans 14% des cas. Les auteurs ont proposé une classification morphologique de ces précipités en « dendritiformes » (observés dans 60% des yeux), « fins » (29%), et « granulomateux » ou « larges » (22%). La répartition de ces précipités était les plus souvent diffuse sur toute la face interne de la cornée (82%) et inférieure dans une minorité de cas (18%). Aucun œil n’a présenté d’hypopion, et seulement 4% ont présenté des synéchies postérieures.

La microscopie confocale in vivo a été réalisée sur 41 yeux de 22 patients suivis à Milan. Elle a permis de visualiser ces précipités et de les catégoriser selon leur apparence : pétaloïde (observée dans 66% des yeux), spiculée (56%), et mûriforme (20%). Par ailleurs, des points hyper-réflectifs au niveau de l’endothélium cornéen ont été visualisés dans 76% des yeux, mais ils sont aspécifiques et présents par exemple dans les syndromes pseudoexfoliatifs. Néanmoins, cette technique d’imagerie haute résolution n’a pas permis aux auteurs de visualiser avec certitude des cellules lymphomateuses, décrites par d’autres équipes.3
La microscopie confocale haute résolution a également été utilisée pour caractériser les précipités rétro-cornéens dans plusieurs uvéites comme le syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada, ou les uvéites herpétiques.4 Des études additionnelles seront nécessaires pour décrire comparativement ces différentes morphologies de précipités et évaluer leur spécificité. Cet outil pourrait devenir un complément utile dans les services spécialisés pour orienter le diagnostic, et détecter les cas de lymphome vitréo-rétinien, qui menace la vie du patient en cas de progression vers une atteinte cérébrale.
Cet article illustre l’intérêt de l’imagerie oculaire haute résolution, outil puissant qui s’approche de l’échelle cellulaire, mais aussi de ses promesses pas toujours tenues, notamment sa pertinence clinique parfois limitée. Ici, la microscopie confocale certes visualise les amas de cellules que sont les précipités rétro-cornéens, mais ne remplace pas à ce jour le diagnostic invasif devant toute suspicion de lymphome vitro-rétinien reposant sur la biologie du vitré et de l’humeur aqueuse (cytologie, PCR, dosage des interleukines 10 et 6), de même qu’il ne dispense pas d’une bilan extensif puisqu’environ deux tiers des patients ont développé une atteinte du système nerveux central, sans lien statistique avec celle du segment antérieur. 

1) Cassoux N, Merle-Beral H, Leblond V, et al. Ocular and central nervous system lymphoma: clinical features and diagnosis. Ocul Immunol Inflamm 2000;8:243–50.
2) Fardeau C, Lee CPL, Merle-Béral H, et al. Retinal fluorescein, indocyanine green angiography, and optic coherence tomography in non-hodgkin primary intraocular lymphoma. Am J Ophthalmol 2009;147:886–94.
3) Guan W, Zhang Y, Zhang X, et al. In vivo confocal microscopy of keratic precipitates in vitreoretinal lymphoma. Ocul Immunol Inflamm 2022;2022:1–6.
4) Mahendradas P, Shetty R, Narayana KM, et al. In vivo confocal microscopy of
Keratic precipitates in infectious versus noninfectious uveitis. Ophthalmology 2010;117:373–80.

Marchese et al. Anterior segment involvement in vitreoretinal lymphoma: clinical manifestations, molecular findings and in vivo confocal microscopy. British Journal of Ophthalmology 2023.

 

Reviewer: Alexandre Matet ; thématiques : uvéite, oncologie, imagerie


 

Privation de sommeil : effet sur l’aptitude en chirurgie vitréo-rétinienne

 

Un groupe d’auteurs au Brésil et aux États-Unis se sont penchés sur l’effet éventuel d’une privation de sommeil sur les aptitudes de l’opérateur en chirurgie vitréo-rétinienne.
S’il semble intuitif qu’une privation de sommeil entraîne une baisse des capacités manuelles et psychomotrices, son impact réel sur la qualité d’un acte chirurgical n’avait pas encore été évalué par des méthodes quantitatives. Ceci est devenu plus aisé, et surtout plus éthique, avec l’avènement récent des simulateurs chirurgicaux qui permettent de chiffrer cette performance via des scores quantitatifs (performance chirurgicale globale, tremblement, durée de réalisation, etc.) sans faire prendre de risque à des patients réels. Outre ces paramètres, les auteurs ont également quantifié et contrôlé le sommeil des participants, via une polysomnographie.

Les chirurgiens étaient répartis en deux groupes en fonction de leur expérience : fellows ayant moins de 2 ans d’expérience chirurgicale, et chirurgiens seniors pratiquant la chirurgie vitréo-rétinienne depuis 10 ans ou plus. Les fellows avaient tous une expérience sur le simulateur utilisé dans l’étude (Eyesi), tandis que les seniors avaient reçu une formation courte au début de l’étude. La performance baseline a été évaluée après une nuit de 8h. Puis, une semaine plus tard, une performance a été à nouveau évaluée mais après une nuit de seulement 3h (temps autorisé au lit de minuit à 3h du matin) vérifié par polysomnographie. La performance a été enregistrée à 7h du matin.

Les résultats montrent que chez les seniors, la performance sur simulateur (performance chirurgicale globale, tremblement, durée de réalisation) était statistiquement non-différente entre la prestation baseline et la prestation en conditions de déprivation de sommeil.
En revanche, chez les fellows, la performance était significativement moins bonne après privation de sommeil, par rapport à la prestation baseline, et ce pour les 3 paramètres quantitatifs évalués. 
Cependant, la quantité de sommeil n’était pas la seule variable importante : pour tous les participants, seniors ou fellows, le temps d’accomplissement d’une intervention-type était allongé pour ceux dont la polysomnographie révélait un sommeil fractionné ou des apnées/hypopnées fréquentes.

L’ensemble de ces observations confirme donc bien que la qualité du sommeil a un impact sur les facultés chirurgicales, et que les praticiens les moins entraînés y sont plus sujets. Les auteurs expliquent ce bénéfice de l’expérience par la capacité d’effectuer des gestes de façon automatisée, et aussi de savoir ralentir pour les réaliser en cas de grande fatigue.
Un des principaux mérites de cette étude est d’avoir réalisé un effort méthodologique pour quantifier au maximum, d’une part le facteur de risque étudié, à savoir le sommeil et ses variations par une polysomnographie ; et d’autre part le critère de jugement, à savoir la performance chirurgicale grâce aux indicateurs chiffrés que fournissent les simulateurs chirurgicaux les plus récents. Une des réserves sur ce critère est que la réalisation d’un acte chirurgical reste très différente d’une simulation, et que l’entraînement des chirurgiens juniors sur cette machine aurait pu biaiser les résultats en leur faveur. Néanmoins, leur moins bonne performance par rapport aux chirurgiens seniors démontre que cet effet n’a pas inversé les résultats de l’étude.

Comme le souligne Thomas Wubben (Université du Michigan) dans un éditorial consacré à cet article,1 les chirurgiens vitréo-rétiniens ne sont pas directement concernés par une extrême fatigue due à des gardes ou astreintes, puisque ces interventions se pratiquent le plus souvent la journée, de façon programmée ou en semi-urgence. Néanmoins, cette étude reste pertinente car la lourdeur des tâches académiques et administratives fréquemment assumées en dehors des horaires cliniques, peut entraîner une fatigue chronique, qui peut être aggravée en cas de privation de sommeil « aiguë sur chronique ».

1. A word of caution when interpreting the effect of sleep deprivation on surgical performance. Thomas J. Wubben. Ophthal Retina, 2023 (ahead of print)

M. Roizenblatt et al. A polysomnographic study of effects of sleep deprivation on novice and senior surgeons during simulated vitreoretinal surgery. Ophthalmology Retina 2023;7:940-947
 

 

Reviewer: Alexandre Matet;  thématiques : chirurgie, exercice professionnel