Revue de la presse de février 2024

 Auteurs : Paul Bastelica, Alexandre Matet, Antoine Rousseau.
Coordination : Marc Labetoulle

Revues sélectionnées :     
Ophthalmology, JAMA Ophthalmology, IOVS, Progress in Retinal and Eye Research, Current Opinion in Ophthalmology, Survey of Ophthalmology, Journal of Cataract and Refractive Surgery, American Journal of Ophthalmology, British Journal of Ophthalmology, Retina, Acta Ophthalmologica, Cornea, Nature, Lancet, NEJM, Science.

 


Le padel, un sport en vogue : attention les yeux ! 

 

Le padel est un sport de raquette inventé au Mexique au milieu du XXème siècle. La discipline était historiquement très populaire au sein des pays hispaniques, et depuis maintenant une dizaine d’années, elle s’est exportée dans de nombreux pays européens, notamment en France, et est actuellement le sport dont la pratique connait la plus forte croissance dans le monde.1 Ce sport se pratique sur un court fermé, avec une balle dont le diamètre est plus petit que celui de l’orbite, et dont la vitesse peut atteindre 130 km/h.2 Au regard de la popularité croissante de ce sport et de ses caractéristiques, le padel pourrait constituer une cause fréquente de traumatismes oculaires, dont le profil épidémiologique et les conséquences lésionnelles sont encore peu connus.

 Un article publié dans Acta Ophthalmologica rapporte les résultats d’une enquête réalisée sur les traumatismes oculaires liés au sport en Finlande. L’étude, basée sur l’analyse rétrospective des dossiers médicaux des patients traités pour des traumatismes oculaires dont l’origine était attribuée à toute pratique sportive, dans neuf centres ophtalmologiques finlandais, révèle justement la place du padel dans ce contexte. 

Entre les années 2017 et 2021, 255 patients ont été admis dans ces centres pour des traumatismes oculaires d’origine sportive. Le sport le plus fréquemment associé à ces traumatismes était le floorball, ou Hockey en salle (surface dure non glacée ; sans patins), avec des lésions essentiellement causées par la balle utilisée. Quant au padel, il était à l’origine de 51 traumatismes oculaires (dont 50 directement liés à la balle), soit tout de même 20% des patients analysés dans cette étude. Le padel constituait le deuxième sport le plus pourvoyeur de blessures oculaires, devant le tennis et le football (respectivement 6 et 15% des cas). Plus intéressant, l’implication du padel dans la survenue de ces lésions oculaires n’a fait qu’augmenter sur la durée de l’étude, passant de la dernière position en 2017 (aucun cas), à la première position en 2021 (plus de 50% des cas). L’âge moyen des patients atteints était de 40,6 ans, et la majorité des patients touchés étaient des hommes (59%). Les atteintes oculaires liées au padel étaient très variées et ont été classées en trois catégories : légères (hématome ou plaie palpébrale, hémorragie sous-conjonctivale, érosion cornéenne), modérées (plaie conjonctivale, hypertonie oculaire, mydriase, hyphéma, inflammation de chambre antérieure, œdème rétinien, hémorragie intravitréenne) et sévères (plaie du globe, déchirure et décollement de rétine, cataracte, fracture orbitaire, iridodialyse). Les lésions étaient majoritairement d’intensité modérée (51%) et les trois atteintes les plus fréquentes étaient une érosion cornéenne (17 patients, 33%), un œdème rétinien (17 patients, 33%), et une inflammation de chambre antérieure (10 patients, 20%). Parmi les complications sévères, un patient a développé une cataracte traumatique, et un autre des déchirures rétiniennes. 

À la lumière des résultats cette étude, bien que les effectifs étudiés soient limités et que ces conclusions finlandaises ne puissent pas forcément être généralisées, nous pouvons confirmer le fort potentiel de ce sport en vogue à induire des lésions oculaires traumatiques. Au regard de la popularité et de la pratique croissante de cette discipline en France, celle-ci pourrait devenir l’une des principales causes de traumatismes oculaires liés au sport. D’autres études seront nécessaires afin de mieux connaitre le profil lésionnel et les conséquences à long terme de tels traumatismes. En tant qu’ophtalmologistes, nous pouvons d’ores et déjà informer nos patients sur les risques oculaires de la pratique du padel, conseiller l’usage de mesures de prévention individuelles telles que le port de lunettes de protection, et mettre en place des stratégies de suivi renforcées chez les patients exposés à ces traumatismes. 

 

1)    Kelly G. Padel power: will the world’s fastest-growing sport take off in the UK? London: The Telegraph. 2016 
2)    Rivilla-Garcia J, Moreno AM, Lorenzo J, van den Tillaar R, Navandar A. Influence of opposition on overhead smash velocity in padel players. Kinesiology, 51(2), 206-212

Kasiga T, Bro T. Padel an increasing cause of sport-related eye injuries in Sweden. Acta Ophthalmol. 2024 Feb;102(1):74-79. 

Reviewer : Paul Bastelica , thématique : traumatologie oculaire, épidémiologie.

 



Chirurgie de la cataracte : les implants suturés à la sclère sont-ils sûrs et efficaces sur le long terme ?  

Lors de la chirurgie de la cataracte, l’implantation intracapsulaire des lentilles intra-oculaires (LIO) conventionnelles peut s’avérer impossible en l’absence de plan zonulo-capsulaire stable, notamment en cas de cataracte traumatique, de luxations/subluxations cristalliniennes, ou au cours de chirurgies de la cataracte compliquées. Dans ces situations délicates, plusieurs options s’offrent au chirurgien: implants de chambre antérieure, implants clippés/suturés à l’iris, implants fixés ou suturés à la sclère en chambre postérieure. Cette dernière option permet de préserver l’architecture de la chambre antérieure, et est donc particulièrement adaptée en présence de pathologies de l’endothélium cornéen, de l’angle irido-cornéen ou de l’iris.

Peu d’études ont évalué les résultats visuels au long cours des implants suturés à la sclère. Pourtant, ces implants sont utilisés chez un grand nombre de patients jeunes dans le cadre de traumatismes oculaires. Il est donc nécessaire que les chirurgiens puissent être assurés de la stabilité temporelle des résultats visuels obtenus grâce à cette technique chirurgicale. 

Dans une étude rétrospective monocentrique, Desai et al. exposent les résultats à 10 ans de l’implantation de LIO suturées à la sclère, réalisée sur 64 yeux de 53 patients (30,9 ans en moyenne) entre 2005 et 2010 en Inde. Les LIO avaient été suturées à la sclère par deux ou quatre points de polypropylène 10-0, via une voie d’abord ab externo,1 et une vitrectomie complète avait été associée dans 66% des cas. Pour 30 yeux, l’implantation avait été réalisée dans un deuxième temps chirurgical, distinct de l’extraction du cristallin. Les indications de la procédure étaient variées (phacoémulsification compliquée, microsphérophakie, subluxations cristalliniennes non traumatiques, cataractes traumatiques), pour la plupart associées à un mauvais pronostic visuel. En particulier, 15 patients (24%) avaient été opérés dans les suites d’une plaie du globe oculaire.

L’acuité visuelle moyenne à 10 ans de l’intervention était 0,52 ± 0,49 (soit 3,2/10 sur l’échelle de Monoyer) contre 0,71 ± 0,43 logMAR (soit 2/10) en préopératoire (p<0,01). L'équivalent sphérique moyen lors de la dernière visite de suivi était de 1,75 ± 2,6 dioptries. Plus alarmant, 37 des 64 yeux opérés (58%) ont présenté des complications. Les problèmes de décentrage/luxation de l’implant ont concerné 25 yeux (39%), en moyenne 9 ans après la chirurgie, ces complications n’étant associées ni aux paramètres cliniques ou socio-démographiques des patients à l’inclusion, ni au nombre de points de sutures réalisés (2 ou 4). La probabilité de survie fonctionnelle de la LIO (période postopératoire sans déplacement de la LIO) était de 81,2 % à 10 ans. Par ailleurs, un décollement de rétine est survenu sur 4 yeux au cours de la première année postopératoire et sur 2 yeux après 5 ans. Une endophtalmie a mené à l’éviscération d’un patient, 6 ans après l’intervention. Enfin, des complications maculaires (2 membranes épirétiniennes et 2 oedèmes maculaires) sont également survenues au cours de la première année post-opératoire. En revanche, notons la faible incidence des complications de chambre antérieure : deux yeux ont développé une hypertonie oculaire résolutive sous traitement médical, et un œil a présenté une décompensation endothéliale cornéenne à 8 ans de la chirurgie.

Au regard du pronostic visuel péjoratif des patients inclus, il est difficile de tirer de réelles conclusions en termes de résultats visuels. En revanche, nous pouvons retenir de cette étude le fort de taux de décentrage/luxation des implants suturés à la sclère. Ces déplacements surviennent à distance de l’intervention et seraient plus liés à la biodégradation des fils utilisés pour les fixer qu’à un nombre insuffisant de ces sutures. Les chirurgiens pratiquant ce type d’intervention doivent donc porter une attention particulière et prolongée au suivi de ces patients, et toujours garder à l’esprit ce risque important et retardé de lâchage des sutures sclérales. Ce risque compromettant fortement l’efficacité prolongée de cette technique chirurgicale, d’autres stratégies chirurgicales utilisant différentes méthodes de fixation devront être évaluées au long cours. A cet égard, les implants fixés à la sclère sans suture pourraient constituer une réelle alternative. Ayant été développées plus récemment, ces LIO n’ont pas encore été évaluées sur le long terme.2

 

1)    Lewis JS. Ab externo sulcus fixation. Ophthalmic Surg 1991;22:692–695
2)    Carlà MM, Boselli F, Giannuzzi F, Caporossi T, Gambini G, Mosca L, Savastano A, Rizzo S. Sutureless scleral fixation Carlevale IOL: a review on the novel designed lens. Int Ophthalmol. 2023 Jun;43(6):2129-2138.

Desai A, Pappuru RR, Tyagi M. Ten-year results of scleral-fixated intraocular lens implantation: outcomes of ab externo scleral fixation with 10-0 polypropylene suture. J Cataract Refract Surg. 2024 Feb 1;50(2):128-133.

Reviewer : Paul Bastelica , thématique : chirurgie de la cataracte, réfractive. 

 


Des nouveautés sur l’épidémiologie de l’ophtalmie sympathique grâce aux données de grande échelle : 

L’ophtalmie sympathique (OS) est une panuvéite bilatérale potentiellement cécitante qui survient après le traumatisme ou la chirurgie d’un œil (désigné comme l’œil sympathisant, alors que l’œil controlatéral est dit sympathisé). Si la situation la plus risquée pour le développement d’une OS est la plaie de globe, de nombreuses procédures chirurgicales (vitrectomie, trabéculectomie, et même chirurgie de cataracte…) sont considérées comme des déclencheurs potentiels. Les données épidémiologiques disponibles proviennent principalement de 2 méta-analyses récentes. La première, commentée dans ces colonnes1,2 donnait une prévalence de l’OS après plaie de globe de 0,19% toute population confondue, et de 0,39% chez l’enfant. La seconde, consacrée aux OS après procédure chirurgicale vitréo-rétinienne, estimait la prévalence dans ce contexte à 0,01%.3

La physiopathologie présumée de l’OS implique la reconnaissance par le système immunitaire d’antigènes uvéaux normalement non exposés, à l’origine d’une réaction auto-immune principalement médiée par l’immunité cellulaire. 
Jusqu’ici, le sexe masculin était considéré comme un facteur de risque, en raison de la surreprésentation des plaies de globe chez les hommes. Le délai de survenue après l’évènement déclencheur est très variable dans la littérature, allant de 5 jours à 66 ans, avec 2 tiers des cas survenant dans les 3 mois. 
C’est pour tenter de préciser ces données qu’un groupe de chercheurs affiliés au Mass Eye and Ear Hospital de Boston a décidé d’interroger la base de données IRIS, véritable référence de l’épidémiologie ophtalmologique. IRIS est en effet la plus grande base de données cliniques de spécialité jamais constituée, regroupant plus de 65 millions de patients américains. Tous les patients ayant reçu un diagnostic d’OS entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2019 ont été présélectionnés pour l’étude. Toutefois, seuls les patients ayant un antécédent de chirurgie ou de traumatisme précédent le diagnostic d’OS étaient inclus dans une analyse stratifiée en 2 cohortes : 1) la cohorte « chirurgie » précédent l’OS, dont étaient exclus les patients ayant eu un traumatisme et/ou toute intervention liée à un traumatisme et 2) la cohorte « traumatisme » dont les patients ayant eu une intervention chirurgicale ophtalmologique pour un autre motif étaient exclus. Les données collectées comportaient l’âge, l’ethnie, et la nature de l’intervention dans la cohorte chirurgie (catégorisée en « procédures vitréo-rétiniennes », « chirurgies de glaucome », « chirurgies de la cataracte », « kératoplasties », ou « autres interventions du segment antérieur » ces dernières comportant notamment les interventions sur le corps ciliaire et l’iris).

Parmi les 8 485 patients distincts avec un diagnostic d’OS porté sur la période de l’étude, 6 962 étaient exclus en raison de l’absence d’intervention ou de traumatisme antérieur au diagnostic d’OS, ou encore d’un recueil de données dans IRIS sur une durée inférieure à un an avant l’évènement déclencheur présumé (un évènement déclencheur antérieur d’une autre nature aurait en effet théoriquement pu être omis). C’est donc au total 1 523 patients - soit 0,0023% des 65 millions de patients d’IRIS - qui étaient inclus dans l’échantillon final, parmi lesquels 61% étaient des femmes, 88% (1 336) appartenaient à la cohorte chirurgie et 12% (187) à la cohorte traumatisme. La prévalence de l’OS après traumatisme était de 0,021%, tandis qu’elle était de 0,012% après chirurgie. Les interventions les plus à risque étaient « les autres interventions du segment antérieur » (0,122%) - en particulier les interventions complexes sur l’iris et le corps ciliaire - suivies par les chirurgies de glaucome (0,066%), et en dernier par les interventions de la cataracte (0,011%). Le délai moyen de survenue était globalement de 527±715 jours, significativement plus court dans le groupe traumatisme (384±538 vs. 547±735, P < 0,001).

Le délai de survenue était aussi plus court chez les patients plus âgés (9 jours en moins par année d’âge). Les analyses multivariées réalisées sur les 2 cohortes confirmaient que le sexe féminin et un âge plus élevé au moment de l’évènement déclencheur constituaient des facteurs de risque significatifs. L’analyse des groupes ethniques, limitée par le manque de finesse des catégories initiales, mettait en évidence un sur-risque d’OS en cas d’appartenance à un groupe ethnique indéterminé (autre que caucasien, afro-américain et asiatique). Certes, la validité des résultats de cette étude est limitée (entre autres) par le nombre de patients exclus en raison de données possiblement manquantes. Toutefois, deux éléments contredisant les données publiées ont été mises en évidence sur les cohortes des patients analysés, dont les données semblent robustes et les effectifs inédits par leur taille : la prédominance féminine, cohérente avec le fait que le genre féminin est plus propice aux affections auto-immunes, et le sur-risque lié à l’âge (potentiellement par perte des capacités thymiques à éliminer les lymphocytes T auto-réactifs). La stratification du risque en fonction du type de chirurgie déclenchante, bien qu’intuitive, permet également une meilleure appréhension du rapport bénéfice risque lors de la programmation de chirurgies complexes du segment antérieur. 

1) He B, Tanya SM, Wang C, Kezouh A, Torun N, Ing E. The incidence of sympathetic ophthalmia after trauma: a meta-analysis. Am J Ophthalmol. 2022 Feb;234:117-125. doi: 10.1016/j.ajo.2021.06.036.
2) Revue de presse de la SFO de Mai 2022. 
3) Anikina E, Wagner S, Liyanage S, Sullivan P, Pavesio C, Okhravi N. The risk of sympathetic ophthalmia following vitreoretinal surgery. Ophthalmol Retina. 2022;6(5):347–360. 
Hall N, Douglas VP, Ivanov A, Ross C, Elze T, Kempen JH, Miller JW, Sobrin L, Lorch A. The Epidemiology and Risk Factors for the Progression of Sympathetic Ophthalmia in the United States: An IRIS Registry Analysis. Am J Ophthalmol. 2024 Feb;258:208-216.

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : inflammation.  



L’hétérogénéité des méthodologies d’évaluation des traitements de la sécheresse oculaire pose problème…

C’est ce que dénonce l’article signé par de l’équipe d’Esen Akpek dans le numéro de février de l’American Journal of Ophthalmology. Les auteurs ont comparé les méthodologies des essais cliniques ayant permis à 5 traitements topiques de la sécheresse oculaire (collyres de ciclosporine à 0,05%, et 0,09%, lifitegrast à 5%, loteprednol à 0,25% et spray nasal de varénicline) d’obtenir l’approbation de la Food and Drug Administration (FDA) américaine. 
Les auteurs profitaient du fait que toutes les données des essais cliniques, y compris celles non-publiées, sont mises en ligne en accès libre par la FDA (c’est d’ailleurs aussi ce que fait la haute Autorité de Santé en France). 
Les critères d’inclusion et d’exclusion, les données démographiques des patients, les effectifs de chaque bras, ainsi que les critères de jugement et les outils de mesure étaient analysés. 

Pour résumer : 14 essais ont été inclus dans cette étude comparative. La durée d’évaluation moyenne des traitements était de 12 semaines (2 à 24). Dans toutes les études, les traitements, parfois à des concentrations différentes, étaient comparés à leurs « véhicules », c’est-à-dire l’ensemble des composants (excipients, parfois émollients et conservateurs) dans laquelle ils étaient formulés, sans le principe actif. Les critères d’exclusion étaient assez homogènes. On regrette par contre le manque d’information sur les critères d’inclusion, dont on ne peut que suspecter l’hétérogénéité. Douze essais (87%) comportaient dans leur critère de jugement principal un signe clinique mesuré par un clinicien, tandis que 10 (71%) ont évalué des symptômes rapportés par les patients. Le marquage cornéen était le signe clinique le plus souvent évalué en tant que critère de jugement principal (dans 6 essais), mais il l’était avec 4 scores cliniques différents. Concernant le marquage conjonctival, l’hyperhémie conjonctivale et la sécrétion lacrymale, ils étaient tous évalués à l’aide de 2 outils de mesure différents. L’inconfort oculaire, seul symptôme utilisé comme critère principal de jugement était évalué à l’aide de 5 outils de mesure différents…

Au total, force est de constater que les critères de jugement utilisés pour évaluer les traitements de la sécheresse oculaires sont nombreux et très variables selon les études, et ne permettent donc aucune comparaison. Des critères à la fois cliniquement significatifs et standardisés sont indispensables pour optimiser l’évaluation de ces thérapeutiques ; ils doivent idéalement combiner des signes cliniques et des symptômes, et si possible être évalués sur des sous-groupes de patients comparables. Cet effort de standardisation semble indispensable pour être en mesure de déterminer la place respective de chacun de ces traitements dans l’arsenal thérapeutique de la sécheresse oculaire. 

Cui D, Saldanha IJ, Li G, Mathews PM, Lin MX, Akpek EK. United States Regulatory Approval of Topical Treatments for Dry Eye. Am J Ophthalmol. 2024 Feb;258:14-21.

Reviewer: Antoine Rousseau, thématique : surface oculaire    



Risque accru de chutes et de fractures chez les patients atteints de cataracte, glaucome ou DMLA : splendeurs et misères des big data

Une équipe d’investigateurs de l’Université de Manchester (Royaume-Uni) nous propose dans JAMA Ophthalmology une étude sur des « big data » qui vise à déterminer si les patients atteints de cataracte, glaucome ou DMLA présentent un risque accru de chute et de fractures. Ces 3 pathologies ont été sélectionnées car elles représentent les 3 causes les plus fréquentes de déficit visuel, affectant au moins 500 millions de personnes sur la planète, et qu’elles sont accessibles à un traitement médical ou chirurgical permettant de limiter leur évolution.
Chaque année, on estime à plus de 170 millions le nombre de chutes entraînant des séquelles à court ou long terme, et à 650 000 le nombre de décès induits par ces chutes.

Les investigateurs ont exploité la mine de données issues du codage diagnostic pour le National Health Services britannique, qui offre à tous les citoyens l’accès à des soins primaires gratuits, et les oriente vers un spécialiste. Les données de 2007 à 2020 ont été exploitées. Trois cohortes ont été constituées, comprenant des patients adultes (>18 ans) présentant l’un des 3 diagnostics (cataracte, glaucome, DMLA) ainsi que trois cohortes contrôles, par appariement de 5 témoins sans pathologie oculaire pour 1 cas (appariement sur le genre, l’âge et la localisation géographique).

Les chiffres issus de ces big data sont vertigineux : 410 000 cas de cataracte, 75 000 cas de DMLA et 90 000 cas de glaucome (arrondis au millier) ont été comparés à un total de 2 857 000 patients contrôles. L’âge moyen était de 74,3 ans. Le risque de chute et de fracture était bien augmenté chez les patients atteints de cataracte (+36% et +28%), de glaucome (+38% et +31%) et de DMLA (+25% et +18%). Au total le nombre de chutes par années, ajusté sur l’âge, était de 2217/100 000 personnes atteintes de cataracte, 1802/100 000 personnes atteintes de glaucome et 2551/100 000 personnes atteintes de DMLA.
Enfin, les auteurs ont poussé leurs analyses complexes jusqu’à extrapoler par articulation ou os touché le risque de fracture. Ces calculs puissants ont identifié un risque accru de fractures à tous les sites étudiés (hanche, avant-bras, rachis, crâne, pelvis, côtes, sternum et membres inférieurs) pour les patients atteints de cataracte, pour quasi tous (sauf côtes et sternum) chez les patients atteints de DMLA et pour certains de ces sites chez les patients atteints de glaucome.

La réponse à la question posée par cette étude peut sembler évidente, mais n’avait jamais été démontrée de façon indiscutable. Quelques études observationnelles sur le sujet avaient en effet rapporté des données contradictoires. Par exemple, une étude populationnelle australienne1 avait identifié un risque accru de chute en cas de glaucome (x 4) et de cataracte (x 1.5) mais pas en cas de DMLA, alors qu’une étude prospective canadienne2 avait démontré que la DMLA multipliait ce risque par deux, chez un groupe de femmes âgées de plus de 70 ans. Il peut s’agir de définitions différentes de la maladie, car la première étude date de 1998 à l’époque où l’OCT n’était pas utilisé de façon large comme aujourd’hui.

Néanmoins, pour spectaculaire que soient ces résultats, la puissance des big data se heurte aux défauts méthodologiques inhérents à un travail à si large échelle, où tout détail disparait dans la masse des données, et de par la nature des données primaires utilisées, non pensées pour cet usage précis. Ainsi, les auteurs nous apprennent au détour de la discussion que le caractère mono- ou binoculaire des diagnostics n’était pas connu, qu’aucune notion sur le niveau de l’acuité visuelle n’était accessible. Peut-être plus grave encore, aucun traitement correspondant au diagnostic ophtalmologique ne pouvait être connu (chirurgie de cataracte, particulièrement la période post-opératoire où la réfraction n’est pas adaptée, traitement hypotonisant, anti-VEGF, etc), limite que les auteurs écartent en arguant que de toutes façons une cataracte opérée peut se compliquer d’une opacification secondaire, qui n’aurait pas non plus été codée… donc que ces deux biais se neutralisent !

Enfin, les auteurs expliquent que les patients atteints de maladies oculaires présentaient de plus nombreuses comorbidités, notamment cardiovasculaires, plus de traitements médicamenteux, et enfin plus d’antécédents de chutes et de fractures précédemment à la période d’inclusion dans l’étude. Bien que partiellement contrôlés par l’appariement avec 5 contrôles par cas, et les analyses multivariées, ces biais montrent néanmoins la limite de résultats tirés de big data aussi titanesques.

En résumé, ce travail montre que des patients adultes ayant un diagnostic de cataracte, glaucome ou DMLA, sans pouvoir détailler plus finement le degré d’atteinte, ont un risque accru de chute ou de fracture. Il ne faut néanmoins pas oublier la nature multifactorielle de ces traumatismes, le déficit visuel étant un facteur certainement prépondérant mais pas unique, chez des patients aux nombreuses comorbidités.

1 Ivers RQ, Cumming RG, Mitchell P, Attebo K. Visual impairment and falls in older adults: the Blue Mountains Eye Study. J Am Geriatr Soc. 1998 Jan;46(1):58-64
2 Szabo SM, Janssen PA, Khan K, Lord SR, Potter MJ. Neovascular AMD: an overlooked risk factor for injurious falls. Osteoporos Int. 2010 May;21(5):855-62. 


Tsang JY, Wright A, Carr MJ, Dickinson C, Harper RA, Kontopantelis E, Van Staa T, Munford L, Blakeman T, Ashcroft DM. Risk of Falls and Fractures in Individuals With Cataract, Age-Related Macular Degeneration, or Glaucoma. JAMA Ophthalmol. 2024 Feb 1;142(2):96-106. 

Reviewer: Alexandre Matet, thématiques: épidémiologie, traumatisme, cataracte, glaucome, rétine médicale


Une méta-analyse estime la prévalence des drusens de la papille

Une équipe danoise s’est intéressée dans Acta Ophthalmlogica aux drusens du nerf optique, afin d’en déterminer la prévalence dans la population générale. Pour cela, les auteurs ont passé en revue 138 articles, pour en conserver 8 qui remplissaient les critères d’information et de qualité requis.

Les drusens du nerf optique sont des dépôts acellulaires calcifiés, situés en avant de la lame criblée. Ils sont importants à reconnaitre car ils peuvent simuler un œdème papillaire et donc toutes ses causes, de l’hypertension intracrânienne aux neuropathies optiques, mais aussi une tumeur intraoculaire. Ils peuvent également prédisposer à des complications vasculaires de la tête du nerf optique comme les NOIAA non artéritiques1 ou les occlusions artérielles rétiniennes. Enfin, bien qu’asymptomatiques, ils peuvent s’associer à des déficits du champ visuel. La connaissance de leur prévalence est importante pour le diagnostic, l’enseignement, et la recherche clinique.

Dans cette méta-analyse, les huit études sélectionnées totalisaient 27 463 individus. Elles utilisaient des modalités diagnostiques différentes : ophtalmoscopie (1 étude), rétinophotographie (3 études), OCT (2 études), et histopathologie (2 études). Ces études avaient toutes été publiées entre 2009 et 2020, sauf 2 études reposant sur l’ophtalmoscopie et l’histologie, qui dataient des années 1970. 

Le critère principal de sélection des articles était l’absence de sélection préalable de la population (par exemple, les études portant sur la prévalence des drusens parmi les patients atteints de NOIAA étaient exclues). Dans ces populations non sélectionnées, la méta-analyse a identifié que les drusens de la papille étaient présents chez environ 0,37% à 2,21% des individus, selon la modalité de diagnostic. Comme l’on pouvait s’y attendre, la prévalence des drusens variait en fonction des modalités diagnostiques : ophtalmoscopie (0,37%), rétinophotographie (0,12%), OCT spectral domain en mode EDI (2,21%) et histologie (1,82%). 
Afin de déterminer la prévalence au sein de la population générale, les auteurs ont utilisé les données sur les séries histologiques (sans préciser sur combien de spécimens d’yeux étaient basées ces études), et ont extrapolé à environ 145 millions le nombre d'individus actuellement atteints de drusens de la papille dans le monde, soit 1,82% des 8 milliards d’êtres humains peuplant la planète.
Cette étude a le mérite de compiler des données par essence différentes, afin d’obtenir ces estimations, et relativement concentrées dans le temps à l’exception des 2 études datant des années 1970, mais dont les techniques sont encore actuelles (ophtalmoscopie et histologie). Les auteurs insistent également sur un défaut inhérent à leur méthodologie et qui limite l’homogénéisation des données, lié au fait que chaque modalité diagnostique utilisée implique une définition différente des drusens de la papille : dépôts blanchâtres au fond d’œil ou sur photographies, élévation hyperréflective du nerf optique en OCT, élévation anormale du nerf optique ou matériel calcifié en anatomopathologie.

On peut mentionner également l’absence de données séparées entre populations pédiatrique, où ce diagnostic est fréquent et pose souvent problème, et adulte. Ce point est d’autant plus surprenant que les auteurs mentionnent une étude populationnelle utilisée dans la méta-analyse, danoise également, qui décrit une progression du taux de drusens chez les mêmes enfants examinés à 11-12 ans (1,5%) puis à 16-17 ans (2,2%).2 De façon intéressante, les enfants qui ont développé ces drusens entre ces deux examens présentaient lors du premier en OCT des bandes hyperréflectives planes au niveau de la papille, et un canal scléral plus étroit.

En conclusion, cette méta-analyse permet d’estimer la prévalence des drusens du nerf optique et apporte un éclairage sur les différentes modalités diagnostiques de ces drusens, observations qui sont cohérentes avec la pratique clinique.

 

1 Hamann, S., Malmqvist, L., Wegener, M., Fard, M.A., Biousse, V., Bursztyn, L. et al. Young adults with anterior isch- emic optic neuropathy: a multicenter optic disc Drusen study. American Journal of Ophthalmology, 2020, 217, 174–181.

2 Malmqvist, L., Li, X.Q., Hansen, M.H., Thomsen, A.K., Skovgaard, A.M., Olsen, E.M. et al. Progression over 5 years of prelaminar Hyperreflective lines to optic disc Drusen in the Copenhagen Child Cohort 2000 Eye Study. Journal of Neuro- Ophthalmology, 2020, 40, 315–321. 

Mukriyani, H., Malmqvist, L., Subhi, Y. & Hamann, S. Prevalence of optic disc drusen: A systematic review, meta-analysis and forecasting study. Acta Ophthalmologica, 2024 Fev, 102, 15–24.

Reviewer: Alexandre Matet, thématiques: neuro-ophtalmologie, tumeurs, pédiatrie, épidémiologie